Marie Thérèse Abena, Ministre de la Promotion de la Femme et de la Famille.
Madame le Ministre, l’on célèbrera le 08 mars prochain, la Journée internationale de la femme. Le thème de cette 33ème édition est : « Intensifier la lutte contre les discriminations à l’égard des femmes, renforcer le partenariat pour accélérer le développement durable. ». Quel état des lieux pouvez-vous dresser de la lutte contre ces discriminations au Cameroun ?
La politique de promotion de la femme au Cameroun vise à rendre effective l’égalité entre les hommes et les femmes, dans tous les domaines de la vie nationale. Elle traduit la volonté du chef de l’Etat de promouvoir une société d’égalité, et de justice dans laquelle les hommes et les femmes exercent pleinement leurs droits citoyens, accèdent aux mêmes opportunités, bénéficient des mêmes perspectives de progrès. Pour y arriver, le gouvernement, avec l’appui des partenaires au développement et des organisations de la Société civile met en route un train de mesures en cohérence avec les objectifs mondiaux en matière de développement.
Au plan institutionnel, nous avons poursuivi la mise en place des structures d’encadrement de proximité des femmes, notamment les Centres de Promotion de la Femme et de la Famille (CPFF), les Centres de Technologies Appropriées (CTA), les Centres d’Accueil et de prise en charge des femmes victimes de violences à Yaoundé 5, Douala 1er, Bertoua, Maroua 1er, Mokolo. Un document de Politique nationale genre a été adopté. Un plan d’action multisectoriel de mise en œuvre de cette politique a été élaboré, adossée sur les 12 domaines critiques de la plateforme d’action de Beijing, l’Objectif du développement durable (ODD) n° 5 relatif à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes, et sur les cibles prioritaires de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. Des points focaux et comités genre ont été mis en place pour veiller à la prise en compte des besoins spécifiques des femmes dans la formulation, la mise en œuvre et le suivi/évaluation des politiques sectorielles. Enfin, la collaboration avec les parties prenantes notamment les partenaires au développement et les organisations de la société civile (OSC) se renforce, se densifie et se diversifie chaque jour davantage.
Au plan législatif, un nouveau Code pénal a été adopté. Il vient résorber les dispositions discriminatoires contenues dans le texte antérieur. Comme vous le savez, l’infraction de l’adultère est désormais réprimée de la même manière chez l’homme et chez la femme ; les mutilations génitales féminines sont érigées en infraction ; la répudiation abusive est punie par la loi de même que le refus de scolarisation des enfants, donc des filles, pour n’évoquer que ces innovations. Il n’est pas superflu de rappeler que le Cameroun est signataire, sans réserve de tous les instruments juridiques internationaux et sous-régionaux, relatifs à la protection des droits des femmes.
Sur le plan opérationnel, la formation politique des femmes s’intensifie, afin de réduire les écarts observés entre les hommes et les femmes dans l’occupation des postes électifs. Le plaidoyer touche à ce jour plusieurs milliers de personnes, communautés et familles en vue de l’élimination des stéréotypes sexistes consacrant la subordination sociale des femmes, la socialisation et la scolarisation discriminatoires des filles et garçons. Parallèlement, des projets économiques sont développés pour réduire les disparités économiques entre les hommes et les femmes. C’est le lieu pour moi de saluer l’appui des partenaires dans ce domaine.
Les résultats de cette action sont tangibles et encourageants, même si les efforts doivent se poursuivre pour atteindre les standards internationaux dans tous les domaines. Je dois rappeler que notre pays est classé 42ème sur 193 pays dans la représentation des femmes au Parlement dans le monde, remplissant et même dépassant le plafond de 30% arrêté à l’issue de la 4ème Conférence des Nations Unies sur les femmes, tenue à Beijing en 1995. Bien plus, il est des secteurs d’activités dont le taux de représentation des femmes dans les postes décisionnels dépasse les 30%. C’est le cas des secteurs industrie et services (30,06%).
Par ailleurs, les indicateurs sexo spécifiques ont une tendance méliorative de plus en plus observable dans les administrations, notamment les sociétés d’Etat (31,31%), le MINPROFF (65,35%), le MINPMEESA (39,08%), le MINCOM (42,54%), le MINTSS (41,17%), le MINAS (48,71%). L’espoir de voir ces données s’améliorer davantage est permis au regard de la volonté politique.
Quel lien peut-on faire entre les discriminations à l’égard des femmes et le partenariat pour le développement durable ?
C’est un lien de cause à effet. Le partenariat renvoie à l’implication de tous, et le développement durable se réfère à la gestion rationnelle des ressources matérielles générées par l’activité matérielle de tous, dans un souci de préservation des intérêts de la postérité. Il n’est pas possible d’envisager un tel développement dans une société fondée sur des inégalités et discriminations de sexe, pas plus que l’on ne peut efficacement combattre ces inégalités et discriminations sans le concours de tous.
La lutte contre les discriminations à l’égard des femmes n’est-elle pas un combat perdu d’avance quand on sait que nos sociétés sont essentiellement traditionnelles !?
Je pense qu’il s’agit d’une question de volonté et de persévérance. La lutte contre les discriminations vise une transformation qualitative de la société. Et comme vous le savez, les changements sociaux s’opèrent lentement parce-que portant sur les cultures et les mentalités. Ceux qui s’intéressent à l’histoire peuvent attester que la situation des femmes s’est beaucoup améliorée. La présence des femmes dans le commandement territorial, les forces de défense et de police n’est pas un fait divers, mais une véritable révolution copernicienne et un tournant majeur de notre histoire. Vous savez que pendant longtemps, la femme mariée ne pouvait pas sortir du territoire national sans l’autorisation préalable de son conjoint. Tel n’est plus le cas.
Dans le domaine scolaire, la fille qui tombait enceinte pendant son cursus était d’office radiée des effectifs. Ce n’est plus le cas à l’heure où nous parlons. Pendant longtemps, la femme mariée salariée ne pouvait pas aligner certains éléments de son salaire, notamment ceux liés à l’hébergement. Ces restrictions sont aujourd’hui levées. L’on peut ainsi évoquer beaucoup de changements qui sont des indicateurs de progrès et des motifs d’espoir. L’essentiel est de persévérer dans l’effort, et de mobiliser tous les apports, car il s’agit d’une œuvre collective, d’une course de fond, comme disent les athlètes.
Des Camerounaises dans certains corps de métier subissent silencieusement une discrimination qui pourrait être considérée comme la pire. Il s’agit du mariage soumis à l’autorisation de la hiérarchie. Cela se passe notamment dans l’armée. Qu’entendez-vous faire pour que cette pratique rétrograde n’ait plus cours ?
La promotion de la femme ne se fait pas en contradiction avec les institutions. Celles-ci ne sont pas fixées ne varieture, mais il faut leur laisser le temps de réguler les matières pour lesquelles elles ont été mises en place, et envisager progressivement leur révision.
Nous sommes dans l’une des périodes cruciales de l’histoire de notre pays avec les élections sénatoriales qui auront bientôt lieu. Avez-vous entrepris des démarches au niveau des partis politiques pour qu’un certain quota soit réservé aux femmes ?
Notre travail privilégie la formation et le renforcement des capacités politiques des femmes, afin qu’elles soient suffisamment informées des règles du jeu politique et des processus électoraux. C’est pourquoi nous avons organisé des sessions de « café genre » dans les dix régions en vue d’une meilleure participation politique des femmes, élaboré un manuel de formation politique à leur intention. Dans ce contexte, nous poursuivons le plaidoyer en direction des formations politiques en vue de l’investiture des candidatures féminines.
La définition des quotas est une solution à expérimenter, mais ce n’est pas une panacée. Tout est au niveau des consciences et des usages. C’est pourquoi nous insistons sur la formation et la sensibilisation.
Permettez-moi de profiter de cet espace, pour inviter les femmes et les filles en âge de voter à s’inscrire massivement sur les listes électorales, afin de remplir leur devoir citoyen de manière effective.
Quels sont les impératifs pour un Cameroun sans discrimination à l’égard des femmes ?
Le premier impératif, à mon sens, est celui de la paix et de l’unité de notre cher et beau pays. Cet impératif résume et conditionne tous les autres. En effet, aucun développement, aucun projet de vie, aucune ambition, aucune vie de famille ne sont envisageables dans une société trouble, où des frères s’entretuent ou entretiennent des échauffourées liberticides et fratricides. Vous me donnez d’ailleurs l’occasion de lancer un appel à toutes les familles et à toutes les femmes des quatre coins du Cameroun, pour continuer de soutenir la politique de paix que prône le Chef de l’Etat, Paul Biya. C’est la raison pour laquelle la 33ème édition de la Journée internationale de la femme, qui se célèbre le 08 mars 2018, est placée sous le triple signe du patriotisme, de la paix et du vivre-ensemble.