Le rapport publié par Facebook décrit trois réseaux de plusieurs centaines de faux-comptes « à comportement coordonné et non-authentique » détectés sur la plateforme et sa filiale Instagram. Deux ont été retracés comme étant initiés par l’Agence Russe de Recherche Internet, liée à l’oligarque Evgueni Prigojine, actionnaire de l’entreprise de mercenaires Wagner. Le troisième serait lui « en lien avec l’armée française », et aurait une activité de désinformation à destination principalement du Mali et de la République centrafricaine, mais plus généralement dans l’ensemble des pays où la France entretient des intérêts impérialistes que sont l’Algérie, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso et le Tchad.
Facebook énonce les atteintes qu’ils ont pu identifier sur ce réseau en lien avec l’institution militaire française : « les personnes à l’origine de cette activité ont utilisé de faux comptes (…) pour se faire passer pour des locaux dans les pays qu’ils visaient, publier et commenter des contenus, et gérer des pages et des groupes. Ils publiaient principalement en français et en arabe des informations et des événements d’actualité, notamment sur la politique de la France en Afrique francophone, la situation sécuritaire dans divers pays africains, des allégations d’interférence potentielle de la Russie dans les élections en RCA, des commentaires de soutien sur l’armée française et des critiques sur l’implication de la Russie en République centrafricaine ».
Il est clair que les éléments rapportés par Facebook sont accablants pour le gouvernement français et plus largement pour l’Etat français et son armée. Alors que pendant les élections de 2017, Macron alertait sur une tentative de la Russie d’influencer le résultat des élections, il est curieux d’apprendre désormais que les mêmes méthodes d’influence seraient utilisées par la France pour manipuler les élections et les opinions publiques africaines.
Dans une interview en juillet, François Lecointre, le chef d’Etat-major des armées françaises, déclarait : « nous assumons d’utiliser des armes cyber comme des armes du champ de bataille sur nos théâtres d’opérations, pour attaquer des réseaux de combat ennemis comme des centres de propagande. Les armées mènent la guerre informationnelle sur les théâtres extérieurs. Elles ne font pas de contre-propagande auprès de l’opinion publique française ». Autrement dit, même si pour le moment il n’y a pas de réponse officielle, il est plausible que l’armée ait fait usage de cette méthode de « brigandage cybernétique » pour atteindre des objectifs de légitimation de ses interventions impérialistes.
Il faut signaler quand même le fiasco et l’amateurisme de cette opération. Le réseau reposait sur 84 comptes, 6 pages et 9 groupes Facebook ainsi que 14 profils Instagram mais n’avait que 5 000 abonnés. Et cerise sur le gâteau : le réseau a été découvert et démantelé par Facebook.
Au-delà de cet aspect, la réalité c’est que l’on ne connaît pas la véritable ampleur de « l’opération » pro-France de ces éléments « liés à l’armée », voire de l’armée française elle-même. On connaît cependant sa capacité d’ingérence dans les pays africains et semi-coloniaux en général, parfois brutale. C’est la première fois qu’une puissance occidentale est accusée de manipuler l’opinion publique en utilisant ce type de méthodes. Cette affaire peut en effet représenter un coup pour la crédibilité de la parole officielle française dans les pays où elle intervient et probablement aussi en France.