Géraldine Ngwa, 6 ans et Solita Ngwa, 17 ans, sont désormais à la charge des responsables des affaires sociales du Nord-Ouest. Les deux sœurs leur ont été remises le 23 août 2020 après deux mois de séjour dans les camps de l’armée. La déléguée régionale des Affaires Sociales du Nord-Ouest, Rebeca Kwate, a salué l’action de l’armée et indiqué que ces deux filles seront prises en charge pour une meilleure réinsertion sociale. Toutefois, l’armée reste déterminée à combattre les séparatistes qui sèment le chaos dans les deux régions anglophones du pays.
«Nous allons continuer de combattre et de neutraliser les terroristes qui refusent de déposer leurs armes», a martelé à la télévision publique, Crtv, le général Valère Nka, commandant de la 5ème région militaire. Les deux filles avaient été abandonnées en juin dernier par leur géniteur, le « général » séparatiste Deathman, au cours d’une opération militaire à Bafut 2. Elles avaient été récupérées par l’armée qui avait également saisi un important stock d’armes, de véhicules, de bœufs emportés par les séparatistes.
Des régions en proie aux kidnappings
L’enlèvement de ce délégué régional des Affaires sociales camerounaises le 24 février 2018, a été revendiqué par l’Ambazonia Defense Forces, une des branches armées des séparatistes actifs dans le Nord-Ouest anglophone. Une région plus que jamais empêtrée dans une grave crise socio-politique. Alors que l’armée camerounaise poursuivait ses recherches pour retrouver Marcel Namata Diteng, le sous-préfet de Batibo kidnappé le 11 février 2018, un autre responsable administratif de cette même localité du Nord-Ouest anglophone du Cameroun a été enlevé.
Selon la chaîne de télévision Cameroon Radio Television (CRTV), il s’agissait du « délégué régional des Affaires sociales (plus haut responsable régional de ce ministère) pour la région du Nord-Ouest ». « Il a été enlevé à bord de son véhicule de service dans la localité de Batibo par des individus armés », précisait la chaîne.
La situation sécuritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun, en proie à une grave crise socio-politique, s’est considérablement dégradée depuis que 47 séparatistes, dont leur leader Sisiku Ayuk Tabe, ont été extradés puis emprisonnés au Cameroun, après leur arrestation au Nigeria. Outre les assassinats de militaires et de policiers, les séparatistes semblent désormais engagés dans l’enlèvement de représentants de l’État. Ils avaient déjà menacé d’attaquer les entreprises françaises situées en zone anglophone.
Jeudi 22 février 2018, le découpage militaire du Cameroun a été modifié par décret présidentiel, avec la création d’une cinquième « région militaire » dans l’Ouest du pays, basée à Bamenda, un des fiefs de la contestation. De source sécuritaire, cette réorganisation s’inscrit dans la même logique qu’au début de la lutte contre le groupe jihadiste Boko Haram en 2014, dans le Nord du pays, quand Yaoundé avait créé une région militaire à Maroua.
La crise anglophone à la croisée des chemins
Souvent méconnu de la partie francophone, le problème dit anglophone existe au Cameroun depuis les indépendances. Une réunification mal conduite, fondée sur un projet centraliste et assimilationniste, a mené à un sentiment de marginalisation économique et politique de la minorité anglophone et à une prise en compte défectueuse de sa différence culturelle. La crise actuelle constitue une résurgence particulièrement inquiétante de ce vieux problème. Jamais la question anglophone ne s’était auparavant manifestée avec une telle acuité. La mobilisation des avocats, enseignants et étudiants à partir d’octobre 2016, a ravivé un vieux problème. Toutefois, le Président de la République S.E Paul BIYA a mis en place un certain nombre de mesures entre 2018 et 2020 pour y pallier. Entre un centre de démobilisation, de désarmement, la traduction des textes OHADA et Common Law en anglais, la libération des centaines de prisonniers séparatistes, l’amnistie de plusieurs et la politique de main tendue via le dialogue inclusif, matérialisé par le Grand Dialogue National.
Les mesures gouvernementales prises depuis mars 2018, la création d’une Commission nationale pour le bilinguisme et le multiculturalisme, de sections Common Law à la Cour suprême et à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature, le recrutement de magistrats anglophones et de 1 000 enseignants bilingues, ou encore le rétablissement d’Internet après 92 jours d’interruption ont eu peu d’effets. Les figures de proue de la contestation les jugent tardives et insuffisantes. La réaction de la communauté internationale a été plutôt limitée, mais elle a néanmoins poussé le gouvernement à adopter les mesures sus-énoncées. Le régime de Yaoundé semble en effet plus sensible aux demandes internationales qu’à celles des acteurs nationaux.
La crise anglophone illustre à la fois un problème classique de minorité, qui oscille entre désir d’intégration et d’autonomie, et des problèmes plus structurels de gouvernance. Elle montre les limites du centralisme national, alors que la décentralisation, engagée en 1996, est enclenchée avec l’approche des premières élections régionales en 2020 pour parachever le processus. La résolution du problème anglophone passe par une réponse nationale plus ferme et le rétablissement de la confiance, grâce à des mesures d’apaisement cohérentes qui répondent aux revendications. Il y a urgence.