La disparition progressive du moabi fait du Cameroun un mauvais élève dans la conservation de cette essence rare. L´impact se fait déjà ressentir dans la vie des communautés forestières. Dans les villages Ntoumvo’o et Kabilone dans l’est du Cameroun, l’évocation du moabi par les communautés autochtones de forêts se fait déjà au passé. Il faut en effet parcourir des dizaines de kilomètres pour trouver un pied de ce grand arbre jadis proche des concessions. « Là où l’exploitation forestière est passée pour trouver un moabi, ce n’est plus facile », s’alarme Cédric Morel, un jeune du village Ntoumvo’o. « Le moabi est en train de disparaître », ajoute-t-il. « Dans les forêts communautaires autour de nos maisons, ils ont coupé tout ce qu’il y avait comme moabi », dénonce Jean Paul Ngufo, habitant du village Nomedjoh.
De 2009 à 2018, 109.000 mètres cubes de moabi ont été exportés vers la France et la Belgique, révèle un récent documentaire. Son auteur, Achille Wankeu, parle « d’une essence exploitée illégalement ». « Le problème c’est reconstituer le stock de moabi dont on a besoin pour à la fois générer des graines pour les populations et produire des volumes de bois importants pour l’exploitation forestière et à ce niveau-là, ce qui y a aujourd’hui ne permet plus de satisfaire ces deux demandes-là », confie Achille Wankeu à nos confrères de VOA Afrique. Le moabi est une essence très prisée sur le marché international pour la qualité de son bois, mais dans les zones forestières, le moabi est d’une très grande utilité pour d´autres raisons. « On l’utilise pour les rites, on utilise les feuilles et l’écorce du moabi comme médicaments, on utilise les graines pour extraire de l’huile alimentaire et l’huile cosmétique c’est avec cette huile que les femmes entretiennent leurs cheveux dans les villages », explique Dr Samuel Nguiffo, secrétaire général du Centre pour l’environnement et le développement, une association à but non lucratif.
Face à la menace de disparition du moabi, des pépinières voient le jour pour préserver cette ressource à l’initiative de Tropical Forest and rural développement, une ONG locale. Dans les villages Ndomzock et Kabilone, des plants ont été distribués aux villageois. Marie, une habitante du village Kabilone, a reçu une douzaine de plants de moabi qu’elle fait pousser dans son champ de cacao.
Lobbying et activisme
D’autres acteurs veulent aller beaucoup plus loin. Ils proposent que cette ressource soit inscrite à l’initiative CITES, la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction. Il s’agit d’un accord intergouvernemental qui a vu le jour en 1973 à Washington. Le gouvernement camerounais entrevoit d’organiser en chefferies unifiées le peuple autochtone Baka qui fait un usage multiforme du moabi. Cette reconnaissance sur le plan administratif devrait leur permettre de bénéficier des projets de développement et de conservation de leurs ressources naturelles.
Ce qu’il faut savoir du Moabi
Véritable géant végétal de près de 70 mètres de haut, le Moabi, ou Baillonnella Toxisperma, pousse dans les forêts tropicales humides d’Afrique qui recouvrent la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Démocratique du Congo et le Cameroun. Au cœur de l’écosystème et des cultures de cette partie de l’Afrique, le Moabi attise les convoitises, ce qui n’est pas sans entraîner conflits d’intérêts et « incitations « politiques.
Le peuple pygmée d’Afrique est profondément attaché à cet arbre qui fait traditionnellement partie de son paysage et de sa culture. Pour ces peuples dont les croyances religieuses et mystiques sont ancrées dans la Nature, le Moabi a une valeur symbolique : on se rassemble à son pied pour discuter, notamment lors de la tenue de tribunaux. De nombreux mythes donnent vie au Moabi ou lui confèrent un rôle de porte-bonheur. Car autour du Moabi, religion et magie se confondent : les hommes cuisinent grâce à son écorce un baume dont ils s’enduisent afin de se confondre avec la nature environnante lors de la chasse.