Conformément aux instructions contenues dans la lettre du ministre de l’Eau et de l’Énergie du 9 février 2024, dans laquelle Gaston Eloundou Essomba engage la responsabilité de l’électricien Eneo sur d’éventuels troubles sociaux consécutifs aux délestages en cours au Cameroun, la compagnie d’électricité annonce avoir mis à contribution les centrales thermiques. Sauf que, précise le concessionnaire du service public de l’électricité au Cameroun, dans une réponse adressée au ministre le 14 février 2024, le fonctionnement de ces centrales entraîne des surcoûts que la compagnie avoue ne pas pouvoir supporter toute seule, avant la fin de l’étiage prévue à la fin du mois de mars 2024.
« Les centrales thermiques sont toutes mobilisées, un plan de délestage des industries a été élaboré (…) Nous tenons cependant à vous informer que la mobilisation des centrales thermiques ne permet pas de résorber entièrement le déficit constaté, et qu’il est par ailleurs nécessaire d’assurer une maintenance en continu des centrales pour éviter les casses et les indisponibilités de ces installations critiques. Cette mobilisation intensive générera des surcoûts en termes d’achats de combustibles estimés à 10 milliards de FCFA pour le mois de février 2024 et 8 milliards de FCFA pour le mois de mars 2024. En conséquence, afin de maintenir tout ce dispositif durant toute la période de crise et conformément aux dispositions de l’article 3 de l’accord de soutien gouvernemental signé le 2 novembre 2018 entre Eneo et la République du Cameroun, nous sollicitons le concours financier de l’État, afin de faire face à ces surcoûts que, compte tenu de sa situation financière, Eneo ne peut supporter seule », écrit la compagnie d’électricité au ministre.
En d’autres termes, la mise à disposition de toutes les capacités thermiques actuellement disponibles dans le pays ne pourra qu’atténuer et non mettre fin aux délestages vécus actuellement dans le réseau interconnecté Sud (RIS) d’Eneo, qui couvre désormais sept régions sur les 10 que compte le Cameroun. Mieux, pour garantir cette atténuation des coupures d’électricité, préjudiciables aux ménages et aux entreprises (on s’achemine vers leur déconnexion du réseau à certaines heures de la journée, avec pour conséquence la baisse de la production), il faut pouvoir mobiliser une enveloppe de 18 milliards de FCFA couvrant deux mois d’activité des centrales thermiques.
Difficultés à Nachtigal
Par ailleurs, contrairement aux termes de la lettre du ministre du 9 février 2024, Eneo rappelle que sa responsabilité ne saurait être engagée, ni sur les origines ni sur les conséquences que pourraient entraîner les délestages actuels dans le pays. « Nous rappelons également que la responsabilité de notre entreprise ne peut être engagée du fait de l’exonération prévue par les dispositions du contrat-cadre de concession et de licence », souligne la compagnie d’électricité, pour qui les délestages actuels ont deux origines principales. Il s’agit, soutient Eneo, du retard pris pour l’injection dans le réseau des 60 premiers mégawatts du barrage de Nachtigal (420 MW) et l’étiage sur le fleuve Ntem, qui abrite le barrage de Memvé’élé (211 MW).
En effet, selon les prévisions des officiels, les 60 premiers mégawatts du barrage de Nachtigal étaient attendus dans le RIS au mois de décembre 2023. Leur disponibilité est désormais prévue le 24 février 2024, selon une promesse faite par le ministre de l’Eau et de l’Énergie au cours du conseil de cabinet du 25 janvier 2024. En clair, dans moins d’une semaine, si les délais annoncés sont respectés, le RIS devrait pouvoir bénéficier d’une production supplémentaire de 60 MW, en attendant la disponibilité de la totalité des 420 MW de Nachtigal en septembre 2024, selon les prévisions du gouvernement.
L’équation de Memve’élé
Mais, au-delà du retard pris dans la mise en service du premier groupe de la centrale de production de Nachtigal, la cause principale des désagréments que vivent les consommateurs d’électricité ces dernières semaines est l’incapacité de la centrale de Memvé’élé à tourner à plein régime, en raison de l’étiage sur le fleuve Ntem.
En effet, selon les informations fournies par les acteurs du secteur de l’électricité, cet ouvrage devant débiter 211 MW pour le réseau électrique du pays affiche souvent une production de seulement 30 MW, voire de zéro MW à certains moments de la journée en période d’étiage, à cause de la baisse drastique des débits sur le Ntem, fleuve sur lequel cette infrastructure est construite. Ce qui fait que, apprend-on, le barrage de Memvé’élé atteindra difficilement la totalité des 211 MW de capacités installées tout au long de l’année, à cause du faible débit du fleuve Ntem et des variations de l’hydrologie en période d’étiage.
Pour résoudre le problème, la construction d’un barrage-réservoir est envisagée. « En perspective, et pour atténuer les impacts de la variation de l’hydrologie du fleuve Ntem, le chef de l’État a prescrit l’accélération de la maturation du projet de construction d’un barrage-réservoir sur ce fleuve », a indiqué le ministre de l’Eau et de l’Énergie le 25 mars 2022 à l’Assemblée nationale. Ce qui questionne le choix du gouvernement de construire une centrale hydroélectrique de 211 MW sur le Ntem, cours d’eau donc le débit est de loin plus bas que celui de la Sanaga, qui abrite 75% du potentiel hydroélectrique du pays.