« On est à un haut niveau de scepticisme », assure Ayoade Alakija, qui dirige en Afrique la stratégie de Convince, une initiative pour l’acceptation de la vaccination anti-coronavirus. Parmi les facteurs, elle cite l’impopularité des gouvernements et la désinformation. Une théorie qui a trouvé une large audience veut par exemple que les vaccins aient été conçus pour stopper la croissance démographique africaine. Les dirigeants eux-mêmes peuvent instiller le poison du soupçon. « Nous devons être très prudents avec ces vaccins importés », a déclaré John Magufuli, le président de la Tanzanie, au cours d’une cérémonie officielle retransmise par la télévision d’Etat, en janvier. Au cours de cette sortie, il a minimisé la gravité de la pandémie et affirmé que son pays en avait été largement épargné grâce aux prières des Tanzaniens.
Peu d’études fiables sont disponibles sur les attitudes vis-à-vis du vaccin en Afrique. Si certaines enquêtes préliminaires suggèrent que beaucoup de gens se méfient, les Centres africains de contrôle des maladies (CDC) ont publié en décembre 2020 les résultats d’une enquête menée dans 18 pays montrant des résultats nuancés : 79 % des personnes interrogées sont prêtes à accepter un vaccin dont la sûreté est prouvée, mais seulement 25 % pensent que les vaccins contre le coronavirus ne présentent pas de danger.
En réalité, l’urgence du vaccin sur le continent est à géométrie variable. Au Maroc, le roi Mohammed IV s’est fait vacciner devant les caméras. Secouée par une deuxième vague, l’Afrique du Sud a réussi à acheter 40 millions de doses, soit la moitié de ses besoins. Les premières doses arrivées dans le pays ont été réceptionnées par le président Cyril Ramaphosa en personne. Malgré l’urgence, un tiers des Sud-Africains sont réticents à se faire vacciner, comme l’explique le professeur Karin Runciman de l’université de Johannesburg : « Nous avons trouvé parmi les adultes que 69 % des noirs et 55 % des blancs sont d’accord de se faire vacciner. Les gens âgés sont plus favorables aux vaccins que les jeunes. Et ce qui est intéressant, c’est que les gens qui n’ont pas terminé leur scolarité sont plus enclins à se faire vacciner que ceux qui ont fait des études supérieures ».
Dans d’autres pays du continent, l’heure est au renfort des mesures barrières contre la propagation du COVID-19. L’on privilégie aussi, çà et là, des solutions tirées de la pharmacopée traditionnelle. Ailleurs, l’on est confortablement installé dans le déni de la maladie. En mai 2020, le président tanzanien avait mis en doute la fiabilité des tests sur le COVID-19, affirmant en avoir secrètement fait subir par le laboratoire national à une papaye, une caille et une chèvre et qu’ils s’étaient tous avérés positifs. Deux constats alimentent la thèse du scepticisme contre le vaccin anti-coronavirus : la célérité de son développement et le peu d’intérêt de la recherche sur les principales pathologies qui endeuillent les populations en Afrique. Et John Magufuli d’assener : « si ces gens étaient capables de découvrir un vaccin contre le coronavirus, ils auraient pu en trouver pour le paludisme, le cancer, la tuberculose ou le V.I.H. ».