Le président de la République a présenté le 20 avril en grandes pompes « son remède » contre le coronavirus. Une décoction et une tisane bio à base d’artemisia et d’autres plantes malgaches tenues secrètes, développées par l’Institut malgache de recherches appliquées (IMRA).
Ces médicaments seront distribués gratuitement aux personnes les plus vulnérables et mis en vente dès ce mercredi 22 avril dans les pharmacies et supermarchés. Le président a décrété obligatoire la prise de ce médicament pour les étudiants de 3e et de terminale qui retournent à l’école dès mercredi.
Devant un parterre d’invités ministres, diplomates et scientifiques, le président malgache présente alors les deux remèdes traditionnels améliorés. Pour des raisons de protection de la propriété intellectuelle, les ingrédients des deux médicaments restent confidentiels. Seule l’artemisia, plante d’origine chinoise introduite en 1995 à Madagascar est révélée.
« Si on regarde le profil chimique de l’artemisia, on voit bien qu’il y a des molécules connues qui stimulent le système immunitaire, explique Charles Andrianjara, chercheur dans le design moléculaire et directeur général de l’IMRA. Donc dans un premier temps, on va dire que c’est pour la prévention. » s’exprime-t-il auprès de nos confrères de Radio France.
Le chef de l’État, lui, va plus loin, et parle de remède curatif contre le Covid-19. « Aujourd’hui, il y a déjà deux cas qui ont été guéris grâce au Tambavy CVO [la tisane]. Ce que nous voulons faire, aujourd’hui, c’est de vulgariser le Tambavy CVO pour protéger notre population. Après, on a déjà eu beaucoup de demandes de partout dans le monde, au Canada, aux États-Unis, en Europe, afin qu’on puisse leur procurer nos produits. »
Equation des tests
Problème : impossible de connaître le nombre de personnes sur lequel ce traitement, conçu en quelques jours, a été testé. Tout comme les ingrédients du médicament, ce chiffre n’a pas été dévoilé. Pour rassurer les plus sceptiques, l’IMRA a confirmé que des « études cliniques plus approfondies étaient en cours ».
Une information qui ulcère Fanirisoa Ernaivo, figure de l’opposition. « Utiliser la population malgache, les enfants surtout, comme cobaye de ce remède miracle, mais c’est dangereux ! Deux personnes soi-disant guéries ? Mais c’est que dalle ! Pourquoi ne pas avoir testé sur toutes les personnes malades et attendre le résultat global, avant d’annoncer et de produire en grande quantité ? Pour moi, le fait d’avoir produit en grande quantité signifie que les tests ne sont que des formalités. Alors que non, les essais cliniques ne sont pas des formalités. C’est une étape qui devrait être obligatoire avant de dire qu’un remède est un remède. Je ne suis pas scientifique, je dis seulement qu’il y a des enjeux économiques dans cette histoire. Or, il n’y a pas d’appel d’offres, pas de consultation de marché. La manipulation politique continue. Et c’est ça qui m’interpelle. » au micro d’RFI.
En outre, la communauté scientifique qui promeut l’artemisia soutient que « le président a mis la charrette avant les zébus ». Toutefois, « efficace ou non contre le coronavirus, le remède, quoi qu’il en soit, ne peut pas faire de mal », surtout chez une population exposée à des maladies comme le paludisme ou la bilharziose. « Ça fait seize ans que l’OMS nous met des bâtons dans les roues pour que nos études sur l’artemisia soient enterrées. Oui, l’OMS est à la solde des laboratoires internationaux. Mais l’avantage, c’est que ces grands laboratoires aujourd’hui n’ont pas d’emprise sur Madagascar. »
Pour clôturer la cérémonie, le président et son épouse ont trinqué, bouteille de décoction à la main, avant d’engloutir quelques rasades de « Covid-Organics », « pour convaincre les réticents », pouvait-on lire dans le communiqué de presse.
Pour le chef de l’État, le déconfinement progressif du pays enclenché ce lundi, c’est à ces médicaments qu’on les doit. Le président assure que le remède sera fabriqué en quantité suffisante pour que les 27 millions de Malgaches puissent tous y avoir accès. Pour l’instant, deux industries locales de la capitale produisent les remèdes avec les matières premières fournies et achetées par l’État.