En Italie, les nuages s’amoncellent de nouveau au-dessus de Vincent Bolloré qui croise le fer depuis 2016 avec son ancien allié, Silvio Berlusconi. Le parquet de Milan a rendu en décembre 2020 son enquête préliminaire dans le litige qui oppose l’homme d’affaires breton, qui détient 25 % de Vivendi, au premier actionnaire de Mediaset. Vincent Bolloré et Arnaud de Puyfontaine, le président du directoire de Vivendi, sont soupçonnés de « manipulation de cours », un délit passible de 1 à 6 ans de prison, et d’« obstruction à l’exercice de fonction de contrôle », délit passible de 2 à 8 ans de prison, pour communication défaillante à la Consob, l’autorité de marché italienne, équivalente de l’autorité des marchés financiers (AMF). Selon la procédure italienne, les deux hommes mis en cause peuvent maintenant demander à être entendus par le parquet. Ce dernier décidera ensuite s’il requiert des poursuites ou s’il classe l’affaire. Le 12 décembre 2020, Vivendi a réfuté « avoir commis la moindre faute » et a fait savoir qu’il apporterait les « éclaircissements nécessaires », convaincu que le ministère public demanderait « un classement sans suite ».
Le 1er octobre 2020, le parquet de Paris a ouvert une enquête contre CNews, la chaîne d’information en continu reprise en main par le milliardaire Vincent Bolloré, pour « provocation à la haine raciale » et « injures publiques à caractère raciste » après un discours tenu par Eric Zemmour sur les mineurs isolés : « Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont. Tous, tous, tous ! », lâchait-il dans l’émission Face à l’info. Cette déclaration a provoqué la marque Decathlon à retirer ses publicités de cette antenne. Eric Zemmour a été plusieurs fois condamné pour « provocation à la haine religieuse » ou « incitation à la discrimination raciale ». Si tous ces scandales ouvrent la voie à des procès au cours desquels Vincent Bolloré laissera forcément des plumes, c’est au Cameroun que le coup de massue a été donné dès janvier 2020.
Le 1er janvier 2020, le port autonome de Douala, l’entreprise qui administre le principal port du Cameroun, reprit le contrôle de son terminal à conteneurs. La veille encore, cette infrastructure hautement stratégique était gérée par Douala International Terminal, la société créée par le groupe français Bolloré et son associé danois A.P. Møller-Mærsk. Significatif, le changement ne va pas de soi pour tout le monde : les deux multinationales ont cherché à prolonger leur contrat et se sont heurtées au refus de l’autorité portuaire. Une longue bataille s’est engagée et, à la surprise générale, le Français, pourtant réputé tout-puissant, a dû s’incliner. Devant les salariés qu’il est venu encourager en ce jour férié non chômé pour eux, Cyrus Ngo’o évoque ce bras de fer : « Ceux à qui nous avons confié ce terminal pendant quinze ans ont estimé qu’ils ne devaient pas partir. Mais nous, nous estimons qu’un contrat a un début et une fin. Et la fin de ce contrat, c’était hier. » Jamais le groupe Bolloré n’a connu un tel échec au Cameroun. L’histoire de cette défaite lève un coin du voile qui recouvre depuis des décennies les relations franco-camerounaises, faites de faux-semblants, de coups de pression et de jeux d’influence mêlant affaires, diplomatie et politique.
Pour mémoire, l’aventure de Vincent Bolloré au Cameroun commence en 1986. Le groupe Bolloré s’implante en rachetant à la Compagnie financière de Suez une entreprise de logistique installée dans le pays depuis les années 1940. Par la suite, il profite d’un programme de privatisations mené sur l’injonction des institutions financières internationales : il obtient en 1999, pour trente-cinq ans, une concession ferroviaire (Camrail), il investit dans des plantations de palmiers à huile et remporte en 2004, avec A.P. Møller-Mærsk, la concession du terminal à conteneurs de Douala, par lequel entrent et sortent 95% des marchandises du Cameroun, du Tchad et de la République Centrafricaine. Il se voit aussi octroyer la gestion du terminal à bois de ce même port en 1994, et décroche en 2015 un terminal à conteneurs au nouveau port de Kribi en association avec la China Harbour Engineering Company et la compagnie maritime d’affrètement-compagnie générale maritime française. S’il reste influent au Cameroun, plusieurs observateurs voient en son départ du port autonome de Douala, la fin d’une époque.