« Je suis déçu d’apprendre les arrestations et les mauvais traitements infligés à certains manifestants pacifiques et journalistes hier au Cameroun. Nos pays sont plus forts lorsque les citoyens se font entendre pacifiquement et que les dirigeants élus s’engagent avec ceux qui ne sont pas d’accord avec eux », a écrit Tibor Nagy, le 23 septembre sur son compte Twitter. Monsieur Tibor Nagy feint-il d’ignorer que les Etats-Unis sont le pays « par excellence » des bavures policières ? Oserait-il ignorer que Donald Trump a menacé de déployer l’armée dans les rues, une semaine après la mort de George Floyd, contre des manifestations au nom de l’« Insurrection Act ».
L’ « Insurrection Act » est une loi qui remonte à 1807, à l’époque du tout début de la République américaine. Elle permet au président américain d’envoyer des troupes fédérales ou de mobiliser la Garde nationale pour remettre de l’ordre lorsqu’il y a des troubles sociaux de grande ampleur. C’est la seule façon pour mobiliser des troupes à l’intérieur des Etats-Unis contre la population. Deux façons permettent d’invoquer cette loi. La première, c’est qu’un gouvernorat, qui est en charge de la sécurité dans son Etat, fasse appel au président pour que celui-ci envoie l’armée. Deuxième cas de figure : si le président juge que les lois fédérales ne sont pas appliquées dans un Etat ou que les droits constitutionnels n’y sont pas respectés, il peut solliciter la Garde nationale ou envoyer l’armée pour remettre de l’ordre.
L’ « Insurrection Act » a été invoquée à plusieurs reprises au XIXe et au XXe siècle. A partir des années 1940, cette loi a été surtout invoquée dans le cadre des conflits raciaux, comme les émeutes de Détroit par exemple qui ont décidé le président Franklin Roosevelt d’envoyer l’armée fédérale. Et dans les années 1960 le président Johnson utilisait cette loi lors de plusieurs émeutes dans le nord des Etats-Unis. Le cas le plus récent remonte à 1992 après le passage à tabac de Rodney King à Los Angeles qui avait entraîné de violentes émeutes. Le gouverneur de la Californie avait alors demandé au président George Bush d’envoyer des troupes. Et finalement le président Bush avait mobilisé la Garde nationale californienne. C’est la dernière fois que cette loi a été utilisée.
Lors des manifestations contre les violences policières, en réaction à la mort de George Floyd et les graves blessures subies par Jacob Blake, deux Afro-Américains, Donald Trump s’est distingué par un ton ferme. Pour réprimer les manifestations consécutives à la mort de George Floyd, il a brandit l’« Insurrection Act ». Le 26 août, au plus fort des manifestations après que Jacob Blake ait été grièvement blessé par la police, Donald Trump envoya un message clair : « nous ne tolérerons pas les pillages, les incendies criminels, la violence et l’anarchie dans les rues américaines ». Il avait par ailleurs annoncé l’envoi de renforts policiers et de soldats de la Garde nationale à Kenosha où des éléments se sont illustrés par l’usage de gaz lacrymogène pour éloigner des manifestants. Les rues américaines seraient-elles plus précieuses que les rues camerounaises ? L’insurrection combattue aux Etats-Unis produirait-elle un effet contraire au Cameroun pour être tolérée ? Comment comprendre la réaction de Tibor Nagy sous la barbe duquel les pires bavures policières se produisent tous les jours ?
La réaction de Tibor Nagy est révélatrice du peu de respect qu’inspire l’Afrique en général, et le Cameroun en particulier, à ses yeux. Tibor Nagy n’a aucun respect pour le peuple camerounais, encore moins pour son « ami » Maurice Kamto. L’Afrique, berceau de l’humanité, est aussi le continent, par excellence, des peuples noirs martyrisés aux Etats-Unis. Et le peu de respect qu’inspire l’Afrique aux yeux de Tibor Nagy ne peut pas ne pas avoir d’incidence sur la façon dont les Noirs, de par les Etats-Unis, sont traités, quelle que soit leur patrie, sur le papier. « Le destin de toutes les personnes noires, où qu’elles se trouvent dans le monde, est lié à l’Afrique. Tant que l’Afrique n’est pas respectée, les Noirs ne le seront pas », Nana Akufo Addo dixit. Alors Monsieur Tibor Nagy, le peuple camerounais mérite d’être respecté. Vos remarques auraient dû s’appliquer au contexte américain, car les blessures de Jacob Blake sont encore béantes.