Entre aveu d’échec et griefs fondés, Maurice Kamto a pris le contre-pied de la classe politique camerounaise le 25 novembre dernier.
« Le MRC appelle les Camerounais à ne pas allez voter et à rester chez eux le 9 février 2020, afin de ne pas cautionner des élections qui ne ramèneront pas la paix dans le pays, ni ne déboucheront sur un choix libre et transparent par les Camerounais de leurs représentants à l’Assemblée nationale et dans les conseils municipaux », annonce Maurice Kamto à l’ultime jour du dépôt des candidatures auprès d’Elecam, organe en charge de la gestion des processus électoraux et référendaires au Cameroun. Pour motiver la décision du directoire du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), Maurice Kamto égraine un chapelet de griefs, les mêmes qui ne l’ont pas empêché de participer à la présidentielle du 7 octobre 2018 et de préparer les investitures des candidats de son parti pour les élections auxquelles il renonce finalement. Dans sa démarche le nouveau leader de l’opposition camerounaise a surpris les citoyens camerounais en âge de voter, à commencer par ceux de son propre camp.
Les griefs de Maurice Kamto
Dans ce chapitre, l’avocat de renommée internationale passe par le code électoral, « le règlement de l’Assemblée nationale prévoit qu’après trois sessions consécutives de cette chambre, toute proposition de loi régulièrement introduite est d’office inscrite à l’ordre du jour du Bureau de l’Assemblée. Malheureusement, jusqu’à la convocation du corps électoral le 9 juillet 2018 pour le scrutin présidentiel du 7 octobre 2018, la proposition de loi du MRC portant réforme du code électoral n’avait même pas été inscrite à l’ordre du jour du Bureau de l’Assemblée nationale, nonobstant les campagnes populaires menées en direction des députés et de l’opinion nationale par notre parti pour alerter sur le risque d’une crise postélectorale du fait d’un mauvais Code électoral », rappelle le leader du MRC.
La crise dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest, « le dimanche 10 novembre 2019, sourd à tous ces appels, monsieur Paul Biya a convoqué le corps électoral pour le 9 février 2020, sans avoir mis fin à la guerre civile qu’il a déclenché et mène sans coup férir depuis trois ans dans le Nord-Ouest et le Sud- Ouest, et qui a déjà coûté la vie à plus de 3000 Camerounais, fait plus d’un million de déplacés internes, près de 40 000 réfugiés au Nigeria et d’incommensurables dégâts économiques », ajoute-t-il.
La qualité des membres du Conseil constitutionnel, « la récusation de plusieurs membres du Conseil pour leur appartenance au Rassemblement démocratique du peuple Camerounais et / ou leur violation des dispositions de la loi relative aux incompatibilités », poursuit-il.
Pour ces motifs et nonobstant les lourdes conséquences d’une pareille décision, Maurice Kamto et les siens renoncent au double scrutin du 9 février 2020. Une décision qui a suscité les réactions d’analystes de tous bords.
Analyses croisées
Pour Dieudonné Essomba, « nous ne sommes pas dans des conditions ordinaires. Le régime de Yaoundé est dans l’œil du cyclone. Son extrême longévité lui a confectionné l’image d’un régime dictatorial totalement anachronique à notre époque. Sa fermeture d’esprit l’a poussé à prendre de mauvaises décisions sur le problème anglophone, transformant en un cancer ce qui n’était qu’une petite cicatrice. Son entêtement, alimenté par sa rigidité idéologique l’a sevré de toute capacité de prospective et d’anticipation. Contesté par tous pour ses mauvais résultats économiques, menacé par les Etats-Unis, harcelé par la sécession, décriée par les ONG, le régime a espéré organiser les élections dans des conditions normales, avec tous les partis ténors, de manière à montrer que malgré tout, son système fonctionne ».
Richard Makon se situe entre respects et regrets devant la décision de Maurice Kamto. « Si le but de cette décision était de tester son importance et évaluer son emprise dans l’espace politique national, on peut affirmer, sans conteste possible aussi, qu’il s’agit là d’un coup de maître. Ce boycott fera parler plus que les résultats à venir, et fera du MRC l’absent le présent au monde ! Mais au-delà de ces considérations liminaires, au demeurant anecdotiques, ce sont les raisons avancées par le Président du parti qui retiennent l’attention de tous : « la solidarité du parti avec les populations affligées du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ». Si cette raison est « la vraie » raison de ce boycott, sincèrement on peut difficilement faire plus noble, car cette décision acte le passage d’une solidarité passive à solidarité active et agissante. Notre pays en a bien besoin par ces temps sombres !!! Sur le motif de « l’inéquité et de l’iniquité des règles électorales », le boycott du MRC se justifie aussi largement, dans la mesure où il s’inscrit en fidélité des récriminations que le parti fait depuis plusieurs années maintenant. Sur ce point, le MRC est donc cohérent avec lui-même ! », tranche-t-il.
Pour l’immense majorité des partisans et sympathisants du RDPC, le MRC cueille tout simplement les fruits de son impréparation. Le parti ayant passé le clair de son temps, depuis janvier 2019, à faire libérer ses leaders et adjuvants pris dans les mailles de la justice dans le cadre de la contestation des résultats de la présidentielle du 7 octobre 2018. Dans ce registre, Jean De Dieu Momo, théoricien des mathématiques électorales, résume bien la situation en qualifiant le président Paul Biya de génie politique. « À l’épreuve de la constitution des dossiers de candidature, qui est le plus grand casse-tête chinois de la politique, il (Maurice Kamto) s’est vite rendu compte qu’il avait rêvé trop grand et qu’il allait au-devant d’une raclée électorale mémorable qui achèverait à coup sûr son rêve en couleur d’accéder à la magistrature suprême à partir de sa tribu. Il a pu mesurer son véritable poids électoral tribal qui dans l’intervalle s’est amenuisé comme peau de chagrin. Il n’a réussi qu’à faire 36 listes sur 360 communes et 17 listes législatives! », assène le président des Patriotes démocrates pour le développement du Cameroun (PADDEC).
Conséquences du renoncement
Etant donné que le parti de Maurice Kamto « a demandé à ses militants et sympathisants à se préparer à prendre part au scrutin à venir », pourquoi avoir attendu la date butoir pour annoncer le boycott ? Que deviendront Célestin Djamen, Michelle Ndocki et autre Sam Severin Ango qui auraient déposé leur dossier ? Autre curiosité, l’absence d’Alain Fogué l’un des lieutenants du leader du MRC prétextant être sous le coup d’un constat de démission du côté de l’université de Yaoundé II. Quoiqu’il en soit, le MRC « est pleinement conscient que, faute pour lui de prendre part aux scrutins à venir, il ne pourra pas, dans les conditions du Code électoral en vigueur, présenter un candidat à un prochain scrutin présidentiel, la loi électorale exigeant que tout candidat à une telle élection soit présenté par une formation politique ayant au moins un élu, ou, à défaut, qu’il rassemble au moins 300 signatures de personnalités. De même, le MRC est conscient que faute d’avoir des conseillers municipaux, il ne pourra pas présenter des candidats à d’éventuelles élections sénatoriales et régionales dans les conditions actuelles », de l’avis de son président.