L’ouvrage, « La corruption en Afrique subsaharienne : enjeux géopolitique et sécuritaire d’une économie transnationale. Crime organisé et menace globale », du colonel Emile Bamkoui, dans un style à la fois réaliste et digeste, expose clairement la lutte et la cligne-musette qui opposent les entités politiques formelles aux autres acteurs de la scène internationale, notamment les entités criminelles et les Etats. L’ouvrage pourrait aussi intéresser les étudiants, les chercheurs, de même que tout autre amoureux de la lecture, car les constructions intellectuelles qui s’y trouvent sont adossées sur des faits ayant valeur heuristique et herméneutique.
« Cet ouvrage se situe au cœur des problématiques qui intéressent plusieurs sciences sociales à la fois, mais surtout, la géopolitique, la criminologie, la sociologie, la science politique, les relations internationales et même le droit », précise Joseph Beti Assomo, le préfacier. Un tel positionnement transversal ne signifie pas pour autant que l’auteur s’est paresseusement livré à la dilution des barrières épistémiques ou encore à un éclectisme desséchant. Au contraire, bien que s’étant positionné clairement pour l’approche géopolitique, dont il a rigoureusement respecté les principes, il a ouvert les autres disciplines à un enrichissement, dès lors qu’il a opté pour une posture interdisciplinaire. D’autant plus que les questions liées au crime organisé, à la corruption, à l’évolution des menaces intéressent toutes ces disciplines. Chacune les aborde avec ses outils théorico-conceptuels. Cet enrichissement est observable lorsque l’auteur emprunte à la sociologie des organisations le concept de « champ organisationnel du crime » pour décrire les logiques de fonctionnement de ce fléau en Afrique. Cette appropriation aboutit à la construction conceptuelle du « crimnetopia » qui apparait alors comme un macro-champ organisationnel : une cité idéale, une terre promise à l’intérieur de laquelle se développent des activités criminelles de tous genres. La posture prospective, qui est au cœur de la géopolitique amène Emile Bamkoui à confectionner un scénario à venir dans un continent qui attire des entreprises criminelles. Le crimnetopia serait l’avenir du continent noir si l’on ne prend pas la menace criminelle au sérieux et surtout ce qui, aux yeux de l’auteur, apparait comme son principal carburant : la corruption.
S’appuyant sur les cinq dimensions de la sécurité énoncées par Barry Buzan, Emile Bamkuoi prescrit une action d’envergure, multiacteur, miltiniveau et multiplexe à l’intérieur des Etats comme à l’échelle continentale et même mondiale. Une telle réalité met l’ouvrage à mi-parcours entre la science fondamentale et la science appliquée où il élabore d’ailleurs une théorie de l’action publique contre le crime en ressuscitant la « loi de la vérité indispensable », qui prescrit de combattre une menace complexe par l’augmentation de sa propre complexité, développée dans les années 1950 par le systémisme de William Ross Ashby. Une pareille ingéniosité conceptuelle témoigne d’une habileté dans la maitrise des concepts sociologiques ainsi que leur usage pondéré.
« Partant du fait que la guerre structure l’avenir, les analyses de cet ouvrage pensent le futur du continent à partir d’un choc. Choc qui est un véritable jeu à somme nulle où il faut forcément un perdant », conclut Joseph Beti Assomo. Le colonel Emile Bamkoui tire donc la sonnette d’alarme face à une menace qui a longtemps été ignorée et qu’on considère de manière léthargique comme telle aujourd’hui.