Si aucun autre adversaire du président Biya ne se dit clairement en désaccord avec le chef du MRC, assigné à résidence depuis le 21 septembre, tous gardent leurs distances. Et c’est l’opposition tout entière qui, faute d’union, risque de rester paralysée. Maurice Kamto n’est plus sorti de chez lui depuis le 21 septembre. À Yaoundé, son domicile a été encerclé à la veille d’une manifestation qu’il avait organisée pour s’opposer à la tenue des élections régionales du 6 décembre son parti, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), exige une réforme préalable du code électoral et la résolution de la crise anglophone.
Depuis, des dizaines de policiers et de gendarmes en tenue de combat campent nuit et jour devant sa porte avec pour instruction de l’arrêter s’il vient à en sortir. Ses avocats ont obtenu de s’entretenir avec leur client, contre lequel aucune charge ne pèse officiellement. De cette concertation est née l’idée de déposer une plainte contre l’État pour « voie de fait administrative ». À Yaoundé, la tension a baissé, et la vie a repris son cours. L’homme politique le plus populaire du pays fait face seul à l’appareil sécuritaire camerounais. En janvier 2019, une première confrontation l’avait déjà opposé au gouvernement c’était au lendemain d’une manifestation qui avait été interdite. Avec plusieurs de ses compagnons, Kamto avait été arrêté pour « atteinte à la sûreté de l’État », puis libéré après neuf mois d’incarcération sur instruction du président Paul Biya. L’opposant risque aujourd’hui une nouvelle privation de liberté, mais qui s’en soucie??
Aucun autre parti d’opposition venu à son chevet
Depuis que Kamto a boycotté les élections législatives et municipales du 9 février dernier en dénonçant l’iniquité du système, le pouvoir le soupçonne de préparer une insurrection. Sans élus, il veut jouer son va-tout dans la rue, les autorités en sont convaincues. C’est pour cela que ses partisans et lui sont étroitement surveillés et que les manifestations du MRC sont systématiquement interdites. Et pourtant, aucun des grands partis se revendiquant de l’opposition n’est monté au créneau pour lui apporter son soutien. Son appel à manifester le 22 septembre n’a d’ailleurs pas non plus été suivi alors que, dans les discours, tous réclament une modification du code électoral et une réforme d’Elecam, l’organe chargé d’organiser les consultations électorales. Tous ont également conscience de la nécessité de faire front commun pour contraindre Paul Biya à accepter le principe des réformes, mais tous prennent leurs distances quand Kamto appelle à passer de la parole aux actes.
Interrogée par Jeune Afrique, Édith Kah Walla, présidente du mouvement Stand Up for Cameroon, une plateforme d’opposition ouvertement « dégagiste », assure n’avoir aucun contentieux avec Kamto. Elle précise tout de même qu’il « ne sera jamais question d’aider quiconque à réaliser une ambition politique personnelle ». « Nous devons avoir une vision convergente, définir des objectifs communs et mettre en place une stratégie pour les atteindre », explique cette militante fédéraliste née de parents anglophones qui a refusé de prendre part à la dernière présidentielle. Elle a également refusé de manifester à l’appel du principal opposant.
« Modifier le code électoral est d’un intérêt mineur pour nous, se justifie-t-elle. Ne nous faisons pas d’illusion: il n’y aura jamais d’élections transparentes tant que le système actuel perdurera. Notre objectif est donc de faire partir Paul Biya pour ouvrir une transition politique au cours de laquelle nous devrons revoir la Constitution, redéfinir la nature de l’État, changer les lois électorales et organiser des élections démocratiques à l’issue desquelles les Camerounais désigneront leurs dirigeants. »
Avec le Social Democratic Front (SDF), l’entente n’a jamais été cordiale. Dans les années 1990, Maurice Kamto fut un conseiller influent de John Fru Ndi, le fondateur du parti. Mais les trajectoires politiques des deux hommes ne se sont plus jamais croisées. Certes, depuis Atlanta, aux États-Unis, où il séjourne pour raisons médicales depuis le mois de février, l’opposant historique a annoncé que le SDF boycotterait les élections régionales, à l’instar du MRC, renouant ainsi avec l’intransigeance qui a si longtemps été sa marque de fabrique.
Ses sympathisants s’en sont réjouis, ceux du MRC aussi unies face au régime, les deux principales composantes de l’opposition auraient pu faire efficacement pression sur le gouvernement. Mais le vieux leader n’a finalement pas demandé à ses troupes de descendre dans la rue, comme le souhaitait Kamto. Les deux principaux lieutenants de Fru Ndi, qui s’opposent sur la ligne à suivre par le parti d’opposition historique, ne clarifient pas davantage le positionnement du SDF. Vice-président et candidat du parti à la dernière présidentielle, en 2018, Joshua Osih reproche à Kamto de se comporter en « patron » de l’opposition. « Il fixe la date de la manifestation, l’annonce sur les réseaux sociaux et nous demande à nous autres de le suivre », critique-t-il.
Selon Nintcheu, Kamto fait erreur quand il croit venir à bout du régime tout seul
Député de Douala catalogué « modéré », il mise sur le travail parlementaire pour faire bouger les lignes. « Nous sommes dans une démarche globale basée sur des valeurs, pas sur un projet unipersonnel », tacle-t-il. Jean-Michel Nintcheu, député de Douala et président de la région Littoral pour le SDF, est d’un avis différent « Maurice Kamto a pris contact avec les formations politiques d’opposition pour tenter de rassembler », reconnaît-il, tout en invitant l’opposant à changer de méthode pour se poser en chef de file de l’opposition. « Il fait erreur quand il croit pouvoir, à lui tout seul, venir à bout de ce régime, insiste Nintcheu. Non pas parce qu’il ne peut pas mobiliser, mais parce qu’il sous-estime les capacités des forces de répression. Il aurait mieux valu approfondir les contacts avec les autres forces du changement et travailler pour constituer un front de l’opposition. »
Nouveau venu sur la scène politique, classé en troisième position à la dernière présidentielle, Cabral Libii, lui, assure avoir « beaucoup de respect » pour Kamto, qu’il appelle « le prof » en souvenir de ces années où le président du MRC était son enseignant à la faculté de droit, à Yaoundé. Tous deux candidats contre Biya il y a deux ans, ils avaient esquissé les contours d’une alliance en prélude de la présidentielle. Mais le projet tourna court. Les proches de Libii sont convaincus que Kamto n’avait jamais envisagé d’autre scénario que le désistement en sa faveur.
En février, le parti fondé par ce jeune loup le Parti camerounais pour la réconciliation nationale, PCRN a obtenu cinq sièges à l’Assemblée nationale. Pour marquer sa différence, Libii clame qu’il est possible de chasser Paul Biya par les urnes même si le code électoral demeure inchangé. Commentant la situation du leader du MRC, Libii tacle discrètement « Le Pr Kamto ne peut être surpris par sa situation actuelle, parce que ce type d’abus et de brimades existent dans ce pays depuis bien longtemps, y compris quand il était au ministère de la Justice. » Manifestement, l’ex-étudiant en droit a « séché » la leçon portant sur le pacte républicain…
Tout opposant est combattu par ses propres congénères
C’est un paradoxe, qui explique en partie l’impossible alternance à la tête du Cameroun. Tout opposant en capacité de l’emporter face à Paul Biya se retrouve isolé et combattu par d’autres opposants. « Avant Kamto, John Fru Ndi lui-même avait déjà échoué, dans les années 1990, aux portes d’Etoudi, en partie à cause de l’incapacité de l’opposition à taire ses divergences idéologiques, ses querelles d’ego, les calculs individuels et opportunistes de ses meneurs », analyse un politologue camerounais sous le couvert de l’anonymat. Quoi qu’il en soit, depuis qu’il est arrivé deuxième à l’élection présidentielle de 2018, Maurice Kamto vit de grands moments de solitude. Les forces du changement lui ont tourné le dos alors que, dans la réalité, peu de divergences idéologiques le séparent de ses collègues de l’opposition. Mais, adeptes de la Realpolitik, ces derniers se positionnent plus en fonction d’intérêts de carrière qu’en raison d’enjeux doctrinaux clairement identifiés. Tant mieux pour le « fantôme » du palais d’Etoudi, qui peut se frotter les mains. Ses concurrents ne sont pas prêts à l’en déloger de sitôt.