Par cet acte hautement symbolique, le premier ministre français Edouard Philippe concrétise l’engagement du président Emmanuel Macron à commencer la restitution à l’Afrique de son patrimoine culturel.
Dakar, 17 novembre 2019. « Le sabre qui nous réunit ici est infiniment plus prestigieux que celui que je possède, c’est celui d’un grand conquérant, celui d’un guide spirituel … le sabre d’un fondateur d’empire, l’empire toucouleur qui comprenait la Guinée, le Mali, le Sénégal actuel, c’est le sabre d’un érudit […] C’est un amateur de sabre qui vous le dit, sa place est bel et bien ici, au cœur de l’ancien empire toucouleur », déclare Edouard Philippe en visite au Sénégal. Parmi les accords politiques et commerciaux signés dimanche entre les deux pays, une convention prévoyant le dépôt du sabre au Musée des civilisations noires de Dakar pour cinq ans le temps que soit rédigée une loi sur la restitution proprement dite. Le sabre se trouve déjà depuis plusieurs mois au musée de Dakar sous la forme d’un prêt. Les collections publiques françaises renferment au moins 90 000 objets d’art d’Afrique sub-saharienne. 70 000 se trouvent au Quai Branly, dont 46 000 ramenés durant la période 1885-1960. Plus de 20 000 autres se trouvent dispersés dans de nombreux musées. Le président sénégalais a rappelé que « depuis des décennies, les restitutions font l’objet d’intenses et légitimes réclamations » de la part des pays africains.
Une promesse d’Emmanuel Macron
« Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient remplies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », déclarait Emmanuel Macron le 28 novembre 2017, Ouagadougou. Quelques temps après le président français confie la réflexion sur la restitution du patrimoine culturel africain à deux universitaires. L’historienne d’art Bénédicte Savoy et l’intellectuel sénégalais Felwine Sarr dans leur rapport de 232 pages, déposé le 23 novembre 2018, détaillent très concrètement la méthode, le planning et les œuvres concernées par la restitution.
Dans leurs recommandations, les auteurs du rapport préconisent « la restitution rapide » des objets prélevés en Afrique par la force ou « présumés acquis dans des conditions inéquitables ». Rentrent dans cette définition les objets saisis « lors d’affrontements militaires », ceux acquis « par des personnels militaires ou administratifs actifs sur le continent pendant la période coloniale de 1885 à 1960, ou par leurs descendants ». Idem pour les pièces récupérées « lors de missions scientifiques antérieures à 1960 ». Les objets « oubliés », qui avaient été prêtés par des institutions africaines à certains musées pour des expositions ou des campagnes de restauration mais n’ont jamais été rendus, sont aussi concernés.
Bénédicte Savoy et Felwine Sarr proposent de restituer en trois étapes le patrimoine culturel africain présent sur le sol français. La première, qui s’étend de novembre 2018 à novembre 2019, permettra de remettre aux États africains concernés « des inventaires d’œuvres issues de leur territoire, selon les frontières actuelles, et conservées actuellement dans les collections publiques françaises ».
Qui est d’Omar Saïdou Tall ?
Né vers 1796, dans le royaume du Fouta-Toro, sur le territoire de l’actuel Sénégal, Omar Saïdou Tall, dit El Hadj Omar, est une figure importante de l’histoire de la région au XIXe siècle. Chef spirituel, érudit musulman et membre de la confrérie soufie Tidjaniya, il est à l’origine de l’empire toucouleur, État dont la capitale initiale est Dinguiray (Guinée). Cet empire s’étend pendant une cinquantaine d’années sur des territoires situés aujourd’hui au Sénégal, en Guinée et au Mali.
Il mène la « guerre sainte » contre les territoires voisins et soumet ainsi le royaume bambara de Ségou et le royaume peul du Macina dans les années 1860. Les ambitions d’El Hadj Omar se heurtent à la politique de la France, qui entend établir sa présence coloniale dans la région. Aux offres initiales d’alliances faites aux Français, qui ne s’y intéressent pas, succède un conflit armé à partir des années 1850.
A la mort d’El Hadj Omar en 1864, son fils Ahmadou Tall (1836-1897) prend le contrôle du royaume, dont la capitale se trouve dorénavant à Ségou. Il s’oppose aux troupes du colonel Louis Archinard et c’est au cours des combats qui ont lieu à Bandiagara en avril 1893, que ce sabre est pris par les troupes françaises, probablement à Ahmadou Tall.
Le sabre en nature
Il comporte une lame française, de sabre d’officier d’infanterie modèle 1821, dite « à la Montmorency ». Sur le dos sont gravées les inscriptions « Manufacture de Klingenthal » ainsi que « Coulaux et Cie ». La poignée est en cuivre ciselé, munie d’une croisière simple et massive. Le pommeau est en forme de bec d’oiseau, terminé par un petit anneau. La fusée est garnie d’un filigrane en fil de fer. Le fourreau est en cuir et comporte des garnitures en laiton.
La pièce a probablement été présentée lors de l’exposition coloniale internationale de 1931 et est un temps restée en dépôt au musée des colonies, créé pour faire perdurer cette manifestation sous une autre forme.