À l’âge de 95 ans l’ancien président du Zimbabwe s’est éteint vendredi dernier à Singapour après avoir essuyé le revers d’un coup d’État en 2017.
D’après les textes saints, la foule qui a revendiqué véhémentement la crucifixion du Christ occasionnant sa mort solitaire sur la croix, est la même qui l’acclamait allègrement une semaine auparavant lors de son entrée à Jérusalem. Cette illustration résume parfaitement la vie de Robert Mugabe, fils d’immigré du Nyassaland actuel Malawi, né le 21 février 1924 et mort en solitaire à Singapour loin de ses terres le 6 septembre 2019.
Le combat contre le régime raciste
D’obédience marxiste, il participe à la fondation de l’Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU) et mène un combat, semblable à celui de Mandela, contre le régime raciste de Ian Smith en Rhodésie du Sud. Il radicalise son combat à sa sortie de prison en prenant les rênes de la ZANU-PF en 1975, branche armée de la ZANU, pour chasser les blancs du pouvoir. Le 4 mars 1980, après une campagne électorale controversée, la ZANU-PF de Robert Mugabe remporte 57 des 80 sièges réservés aux Noirs alors que les 20 sièges du collège électoral blanc sont tous remportés par le Front rhodésien de Ian Smith. C’est le basculement. La guerre d’indépendance s’achève par un bilan d’environ trente mille morts, la Rhodésie du Sud accède à l’indépendance sous le nom de Zimbabwe.
L’entrée triomphale à Harare
18 avril 1980. Robert Mugabe devient Premier ministre du nouvel État du Zimbabwe. Il demeure à ce poste jusqu’au 31 décembre 1987. Malgré sa haine des Blancs, Robert Mugabe prône une politique de réconciliation qui lui vaut l’amitié des pays occidentaux et de la reine Elizabeth II. « S’il vous plaît, restez avec nous dans ce pays pour former une nation fondée sur l’unité nationale », déclare-t-il à la population blanche à l’occasion de son discours fondé sur l’apaisement et la réconciliation. Il reconduit par ailleurs les chefs des services de renseignements de l’ancien régime, et nomme deux ministres blancs. Le Zimbabwe connaît alors un essor sans précédent. La transition s’est déroulée sans heurts, la communauté internationale est ravie et soulagée, l’argent des bailleurs de fonds afflue. Le Zimbabwe est alors le grenier à céréales du continent, et l’un des premiers producteurs de tabac au monde.
Devenu président en 1988, il instaure un régime présidentiel et continue d’assurer l’essentiel du pouvoir. C’est également l’année de la fin du collège électoral blanc et de leur représentation de 20 députés, signifiant la fin du rôle politique des Blancs dans le pays. Le poste de Premier ministre est aboli. Les accords de Lancaster House, qui empêchent au gouvernement issu des futures élections de toucher aux terres agricoles durant dix ans, expirent bientôt.
La courbe descendante
Dans les années 1990, frappé par plusieurs sécheresses, le grenier à blé du continent se porte beaucoup moins bien. La grogne sociale gagne du terrain, l’opposition aussi, soutenue par la nouvelle génération. Le régime de Mugabe, menacé, se lance dans une vaste répression. Des journalistes et militants sont emprisonnés.
En 2000, il perd le référendum constitutionnel qui devait lui permettre de se représenter à la présidence du pays. Acculé, il développe une paranoïa à l’égard des Blancs qu’il rend responsables de sa défaite. Mugabe les soupçonne de flirter avec l’opposant Morgan Tsvangirai leader du mouvement pour le changement démocratique (MCD). Il sort alors de ses cartons un vieux projet de redistribution des terres évoqués lors de l’indépendance, mais jamais concrétisé. Il confisque les terres de 4 000 fermiers Blancs, qui possédaient 70 % du terrain arable du pays, pour les donner notamment à des familles rurales pauvres. Cette politique a eu des conséquences économiques catastrophiques. La plupart des bénéficiaires de cette politique de redistribution n’avaient pas les connaissances requises pour travailler la terre. Le rendement des exploitations a dégringolé après la réforme agraire, et le pays, qui participait auparavant à l’approvisionnement du Programme alimentaire mondial, est devenu tout à coup dépendant de l’aide alimentaire de l’ONU pour nourrir l’équivalent d’un quart de sa population.
L’inflation est au paroxysme, le taux de chômage frôle les 94 % en fin 2007. Malgré ce tableau peu reluisant, Mugabe reste populaire chez une grande partie de la population, notamment chez les personnes âgées qui ont vécu la période de la guerre pour la décolonisation du Zimbabwe.
La chute
« Ma décision de démissionner est volontaire. Elle est motivée par ma préoccupation pour le bien-être du peuple du Zimbabwe et mon souhait de permettre une transition en douceur, pacifique et non violente qui assure la sécurité nationale, la paix et la stabilité ». C’est par ces mots, rédigés le 21 novembre 2017 au terme d’un bras de fer d’une semaine avec l’armée, que Robert Mugabe a présenté sa démission. Quelques mois plus tard il avouera, à la veille de l’élection présidentielle d’août 2018, que son départ n’avait rien de volontaire. L’armée ayant mal digéré le limogeage du vice-président Emmerson Mnangagwa, quelques jours plutôt, l’y aura contraint. Son parti, la Zanu-PF, et la rue l’ont également lâché. Dans la foulée Emmerson Mnangagwa lui succède.
Les Hommages
« C’est avec la plus grande tristesse que j’annonce le décès du père fondateur du Zimbabwe et de l’ancien président, le commandant Robert Mugabe, icône de la libération, un panafricain qui a dédié sa vie à l’émancipation de son peuple. Sa contribution à l’histoire de notre nation et de notre continent ne sera jamais oubliée. Que son âme repose en paix », a déclaré Emmerson Mnangagwa dans un tweet ce vendredi 6 septembre 2019.
En Afrique du Sud, l’ANC, dont Mugabe était le plus fidèle allié, a exprimé sa profonde tristesse, regrettant la disparition d’un ami, d’un leader et d’un « révolutionnaire ». Le président sud-africain Cyril Ramaphosa a salué un « champion » de la lutte contre le colonialisme.
« Durant sa vie, il a fermement défendu la souveraineté de son pays, s’est opposé aux ingérences étrangères et a activement promu l’amitié et la coopération entre la Chine et le Zimbabwe et la Chine et l’Afrique », a déclaré devant la presse le porte-parole de la diplomatie chinoise, Geng Shuang.
En Russie, le président Vladimir Poutine rappelle sa « grande contribution personnelle à la lutte pour l’indépendance ».
Joseph Kabila a signé : « nous garderons à jamais le souvenir d’un digne Fils de l’Afrique qui a volé au secours de notre pays, alors victime d’une agression extérieure. Le continent vient de perdre l’un des grands panafricanistes, un héros de la lutte pour l’indépendance ».
Le programme des obsèques
La Zanu-PF, parti au pouvoir depuis 1980, « s’est réunie et a accordé le statut de héros national qu’il mérite grandement », a déclaré le chef de l’Etat, ajoutant que le pays serait en deuil jusqu’aux funérailles prévues le 14 septembre prochain. D’après George Charamba, porte-parole de Mugabé, la dépouille de l’ancien chef d’Etat arrivera au Zimbabwe le 11 septembre. Après des obsèques officielles, Robert ugabe sera inhumé le 15 septembre.