540 millions de dollars, soit 13 millions de dollars pour chacun des 40 combattants illégaux encore incarcérés, est la facture pour 2018 du centre de détention américain situé sur la côte cubaine.
Le 23 février 2016, Barack Obama a présenté son plan pour la fermeture du camp de Guantánamo, qui n’aboutira pas à la fin de son mandat. En janvier 2018 Donald Trump, son successeur, a signé un décret ordonnant au Pentagone de maintenir les installations de Guantanamo ouvertes pour 25 ans encore. Des voix s’élèvent pour dénoncer les dépenses exorbitantes entraînées par le maintien de la prison sur l’île, mais aucune solution n’est en vue pour les alléger.
Le bourbier financier
Le gouvernement des États-Unis loue au gouvernement du Cuba, depuis le 23 février 1903, les 121 km2 abritant le centre de détention à 4 085 dollars par an. Du fait de l’isolement du site, un cinéma, une chapelle, trois hôpitaux, deux restaurants et un tribunal ont été construits sur place. Ces infrastructures mobilisent un important personnel. La construction de l’ensemble de ces infrastructures aurait coûté plus de sept milliards de dollars. Le Pentagone emploie 1 800 soldats pour sécuriser le site, soit 45 par détenu. Le personnel de la prison comprend aussi des garde-côtes, des médecins, des infirmières, des interprètes, et des spécialistes du renseignement. Chaque semaine, des vols sont affrétés vers le site pour y emmener juges, avocats ou journalistes, et un cargo réfrigéré se charge de l’approvisionnement en produits frais. Pour le moment, l’administration Trump ne dispose d’aucun plan pour alléger les coûts d’entretien de cette prison dénoncée par les organismes de défense des droits de l’homme.
Bourbier des droits de l’homme
La prison de Guantánamo compte encore 40 détenus, âges entre 37 et 71 ans, dont le Yéménite Ali Hamza Ahmad al-Bahlul, lieutenant d’Oussama ben Laden condamné à perpétuité. Depuis 2008, aucun nouveau prisonnier. La volonté de Donald Trump de maintenir fonctionnel ce centre de détention montre bien que Guantanamo pourrait accueillir de nouveaux pensionnaires. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 le centre de détention a abrité jusqu’à 780 prisonniers.
Un décret présidentiel de George W. Bush autorisait la détention sans limite et sans chef d’accusation, sur un territoire ne relevant pas théoriquement de la législation américaine, de tous les combattants illégaux capturés. L’administration Bush justifiait la détention extra-judiciaire en affirmant que les membres d’Al-Qaida et les talibans n’étaient pas des combattants réguliers respectant les lois de la guerre. Cependant, le manque de chef d’accusation rendait les détentions abusives. Le statut de combattant illégal a immédiatement été considéré au sein de la communauté internationale comme la création d’un vide juridique artificiel, destiné à priver les détenus des droits prévus par les 3e et 4e conventions de Genève.
« Guantánamo est un danger pour les Américains dans le monde, car elle stigmatise et amplifie la haine existante du monde musulman contre les États-Unis », a déclaré en 2005 le sénateur Joe Biden. La même année, Amnesty International dans son rapport annuel a qualifié Guantánamo de « goulag moderne ». Plus tard en novembre, l’ONU a annulé sa visite du camp de Guantánamo prévue pour le 6 décembre, car Washington refusait que les trois membres de la mission onusienne : l’Autrichien Manfred Nowak rapporteur spécial sur la torture chargé du dossier, la Pakistanaise Asma Jahangi s’occupant du respect de la religion dans la prison, et l’Argentine Leila Zerrougui chargée des questions sur la détention arbitraire, parlent librement et sans témoins aux détenus.
Grand centre de la torture
Selon plusieurs témoignages et documents, les détenus sont soumis à des traitements dégradants et à diverses tortures au sein de la prison et au cours de leurs interrogatoires. Certaines affections que l’armée attribue au vieillissement de la population carcérale, sont en réalité des conséquences de la torture infligée par la CIA. L’un des prisonniers, un Indonésien appelé Hambali âgé de 55 ans, est incarcéré pour avoir dirigé le groupe islamique Jamaah Islamiyah d’Asie du Sud-Est. Il a besoin d’une prothèse du genou, ce qui est dû à sa première année en captivité dans une prison de la CIA, où il portait constamment des fers aux chevilles. Moustafa Al-Hawsawi, un Saoudien de 50 ans accusé d’avoir fourni une aide logistique aux pirates de l’air du 11 septembre 2001, souffre depuis des années de douleurs rectales chroniques car il aurait été sodomisé dans les prisons de la CIA : le supplice est tel qu’il s’assoit avec précaution sur un coussin quand il est au tribunal, retourne s’allonger dans sa cellule à la première occasion et jeûne régulièrement pour ne pas aller à la selle trop souvent, affirme son avocat Walter Ruiz. Al-Hawsawi est désormais accro au tramadol, un antalgique opioïde.