Le 25 septembre 2020, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), basée à Arusha en Tanzanie ordonne à l’Etat de Côte d’Ivoire de : suspendre la mention de la condamnation pénale du casier judiciaire de Laurent Gbagbo jusqu’à ce que la CADHP se prononce sur le fond de la requête principale ; prendre toutes les mesures nécessaires en vue de lever immédiatement tous les obstacles empêchant Laurent Gbagbo de s’enregistrer sur la liste électorale ; faire un rapport à la Cour sur la mise en œuvre des mesures provisoires ordonnées dans la présente décision dans un délai de quinze (15) jours, à compter de la date de sa réception, signent Ben Kioko, et Robert Eno, respectivement vice-président et greffier de la CADHP.
Laurent Gbagbo, chef d’Etat de Côte d’Ivoire, de 2000 à 2010, ne figure pas sur les listes électorales révisées depuis le 4 août 2020. Il ne peut donc ni voter, ni être candidat. Le Conseil constitutionnel ivoirien a rejeté sa candidature à la présidentielle déposée par ses partisans. Selon les autorités ivoiriennes, cette décision fait suite à la condamnation de M. Gbagbo par la justice ivoirienne à 20 ans de prison fermes et à 10 millions de F CFA d’amende pour des faits de complicité de vol en réunion à main armée avec effraction et détournement de deniers publics, dans l’affaire dite du « braquage de la BCEAO », la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest, lors de la crise post-électorale de 2010-2011.
Le 7 septembre 2020, le greffe de la CADHP a reçu deux requêtes introduites par Laurent Gbagbo, l’une aux fins de constatation de la violence des droits fondamentaux de Laurent Gbagbo dans le cadre du contentieux des élections générales en Côte d’Ivoire, et l’autre, aux fins de mesures provisoires. Le 9 septembre 2020, le greffe de la CADHP a transmis à l’Etat de Côte d’Ivoire la requête introductive d’instance ainsi que la demande de mesures provisoires pour réponse à la demande de mesures provisoires dans les soixante-douze heures de la notification. A l’expiration dudit délai, l’Etat de Côte d’Ivoire n’a pas répondu sur la demande en indication de mesures provisoires.
Laurent Gbagbo a introduit deux principales mesures provisoires. La première concerne la demande de sursis à l’exécution de l’ordonnance confirmant sa radiation de la liste électorale. La CADHP considère que les circonstances de l’espèce requièrent le prononcé d’une ordonnance de mesures provisoires en application de l’article 27(2) du protocole relatif à la charte de la CADHP et de l’article 51 du règlement pour éviter un préjudice irréparable à Laurent Gbagbo. Par conséquent, la CADHP estime qu’il est nécessaire d’ordonner des mesures provisoires afin de permettre à l’ancien président de jouir de ses droits de l’inscription sur la liste électorale. Ensuite, la demande d’expurger son casier judiciaire ou d’y suspendre la mention de la condamnation pénale. La CADHP considère que le cas présente un volet pénal. L’ancien président fait face à différentes procédures internes et internationales. La CADHP constate que les droits dont il se prévaut sont des droits civils et politiques de nature essentielle que la CADHP a compétence de protéger.
Dans le cas de l’ordonnance concernant Laurent Gbagbo, il s’agit d’une décision provisoire prise par la CADHP en attendant qu’elle statue sur le fond de la requête de l’ex-dirigeant. Son avocat, Me Claude Maintenon, s’est tout de même dit « satisfait » du jugement, tout en rappelant que « l’application dépend du bon vouloir de l’Etat ». En dernier recours, la CADHP peut saisir la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine. Au bout, il revient à la conférence de prendre des sanctions, comme la suspension de l’aide financière apportée par l’Union africaine à ce pays.
Accusant la CADHP de porter « atteinte à la souveraineté de la Côte d’Ivoire », Abidjan lui a « retiré sa déclaration de compétence » en avril et de fait se désintéresse depuis des décisions de la CADHP. Ce retrait était intervenu après que la CADHP eut ordonné de suspendre les procédures judiciaires à l’encontre d’un autre candidat à la présidentielle du 31 août, Guillaume Soro, qui l’avait saisie. Abidjan reste cependant juridiquement lié à ses décisions. La Cour note en effet dans son jugement que le retrait de compétence ne devient effectif qu’à « l’expiration du délai d’un an », soit à partir d’avril 2021. Et ce retrait de compétence signifie seulement que l’Etat ivoirien ne permet plus à la CADHP de « recevoir des requêtes d’individus et d’organisations non gouvernementales ».