L’annonce fracassante de Kim Jong-un lui permet d’endosser le costume du pacificateur, sans pour autant remettre en cause son arsenal controversé.
Ne jamais subir. Kim Jong-un prend une nouvelle fois la planète de vitesse. À la veille de deux sommets cruciaux avec son homologue sud-coréen Moon Jae-in, puis avec Donald Trump, le leader suprême reprend l’initiative diplomatique avec un art consommé de la communication. Samedi, le trublion nord-coréen s’est solennellement engagé à ne plus conduire d’essais nucléaires ou de missiles balistiques, affirmant avoir atteint son graal, la détention d’une force de frappe atomique. Une annonce fracassante qui lui permet d’endosser le costume du pacificateur, à l’orée de ses négociations cruciales avec Washington, mais sans remettre en cause son arsenal controversé. Pour prouver sa bonne foi, le régime va fermer unilatéralement son célèbre site de Pyungye-ri, où il a conduit ses six essais atomiques, dont le dernier, en septembre 2017, entraîna une explosion quinze fois plus forte que la bombe d’Hiroshima.
Concession spectaculaire
Ce moratoire-surprise prend de court les chancelleries, qui accueillent avec un soulagement prudent cette annonce. À quoi Kim le stratège joue-t-il ? S’agit il d’un virage stratégique ou d’une simple manœuvre tactique, s’interrogent les diplomates. Cette annonce offre de nombreux avantages à Pyongyang au moment d’entamer ses discussions, d’abord avec Moon, le 27 avril, lors d’un sommet sur la DMZ, puis « d’ici à juin » avec Trump. Avant même de s’asseoir à la table des négociations, le « maréchal » fait mine de faire une concession spectaculaire, défiant ses partenaires d’en faire autant. Affichant sa bonne volonté, le jeune dictateur appelle Séoul et Washington à lâcher du lest à leur tour pour accoucher d’un accord. Prenant à partie l’opinion mondiale, Pyongyang semble indiquer qu’il ne pourra être tenu pour responsable d’un échec au sommet. Désormais, la balle est dans le camp de l’administration Trump. Et il lui sera difficile de relancer une dynamique belliqueuse pouvant conduire à des frappes préventives dans un tel climat. Déjà, Trump a tweeté sa satisfaction, entrant dans la combine. Bien joué.
Cette initiative annoncée à la télévision d’État répond également à des enjeux intérieurs pour rester maître du jeu, aux yeux des masses. En annonçant unilatéralement ce moratoire, il anticipe les demandes de Washington. Plutôt que de donner l’impression d’avoir cédé sous la pression extérieure à l’issue de longues tractations, il drape sa décision dans une geste souveraine, teinté de nationalisme. Un élément essentiel pour un régime qui a fondé sa légitimité sur l’indépendance nationale, incarné par l’idéologie autarcique du juché. Car la matrice intérieure reste la clé de la politique étrangère, à Pyongyang comme ailleurs. Le dirigeant trentenaire élevé en Suisse s’inscrit dans le long terme, avec pour enjeu la survie de son régime, et donc la sienne. Et, pour cela, armement et croissance économique vont de pair.
Ne rien céder sur le fond
Sur le fond, Kim Jong-un n’a rien cédé sur la dénucléarisation. Au contraire, il entérine les dividendes de son sprint atomique et balistique conduit crânement ces dernières années, et marqué par une multiplication des tests au mépris des résolutions de l’ONU. Aujourd’hui, il promet seulement de ne pas poursuivre sa fuite en avant, ayant atteint son objectif. « Comme le caractère opérationnel des armes nucléaires a été vérifié, il n’est plus nécessaire pour nous de mener des essais nucléaires ou de lancer des missiles à moyenne et longue portée ou ICBM », explique Pyongyang, qui affirme ici en creux son statut de puissance nucléaire. Exactement l’inverse de la « dénucléarisation » qu’exige Washington.
Désormais, le régime affirme mettre la priorité sur le développement économique du pays, enterrant la ligne « byungjin », en vigueur depuis le début de son règne en 2011 et qui prévoyait un développement parallèle de la bombe et de la croissance. Le discours du « maréchal », prononcé à l’issue d’une réunion du comité central du Parti des travailleurs, dévoile ses objectifs en vue des négociations à venir. « Kim prépare la réintégration de son pays dans le marché international, mais comme de facto puissance nucléaire » juge Abraham Denmark, expert Asie au Wilson Center, un think tank à Washington. Fort de son arsenal, il rêve d’être admis dans le concert des nations comme puissance atomique « raisonnable », à l’image du Pakistan. « Jamais il ne lâchera ses bombes atomiques », juge Sue Mi Terry, ancienne de la CIA, experte au Center for Strategic and International Studies (CSIS) à Washington. Le régime posséderait une vingtaine de bombes atomiques, selon les estimations des experts. Une « épée chérie », a de nouveau rappelé Kim.
Cette formule est inacceptable aux yeux des faucons de l’entourage de Donald Trump, comme son conseiller à la sécurité nationale John Bolton. Pour amadouer l’imprévisible président, Kim sait qu’il devra sortir une autre carte de sa manche en faisant miroiter un démantèlement de son arsenal lors de leur tête-à-tête. Avant d’exiger des contreparties assurant son avenir politique et économique, sous la forme d’un traité de paix, et d’investissements. Les négociations ne font que commencer. Mais « l’homme fusée » démontre qu’il peut aussi maîtriser « l’art du deal » pour mieux poursuivre ses objectifs.
Le point