60 ans après son indépendance, le Niger a réussi sa première alternance démocratique avec la passation de charges entre le président sortant Mahamadou Issoufou et le nouvel élu Mohamed Bazoum, 61 ans, déclaré vainqueur au deuxième tour de l’élection présidentielle, le 21 février, par la Cour constitutionnelle avec 55,66% des voix contre 44,34% pour son adversaire, l’ancien président Mahamane Ousmane. Après un hommage appuyé de Mohamed Bazoum qui a salué « la droiture, la loyauté, la générosité, la rigueur et le patriotisme » de son prédécesseur, Mahamadou Issoufou sort de scène, les poings levés et sous les applaudissements du public. Pour la cérémonie d’investiture, le centre de conférence Mahatma Gandhi était comble et la circulation routière bloquée dans un quartier quadrillé par les forces de sécurité.
« Je n’ai que trop conscience de ce que sont mes défis », a déclaré Mohamed Bazoum lors de son discours d’inauguration aux allures de feuille de route : lutter contre le terrorisme, réduire la pauvreté, promouvoir la bonne gouvernance et procéder à la refonte du système éducatif. Avec un taux de natalité moyen de 6,9 enfants par femme, selon la Banque mondiale, sur quels ressorts s’appuiera-t-il pour transformer la croissance échevelée de la démographie en dividende économique ?
Les objectifs macroéconomiques de nouveau président portent sur l’amélioration de l’environnement des affaires, pour renforcer le secteur privé et attirer davantage d’Investissements directs étrangers. « Mon objectif est de porter le taux de croissance annuel moyen à 8%, le taux de pression fiscale à 20%, de réduire le taux de pauvreté de 43% à 25% en 2025, de maintenir le taux d’inflation en dessous de 3% et d’améliorer substantiellement la part des secteurs secondaires et tertiaires dans l’économie, de façon à les porter respectivement à 45% et 35% du PIB en 2025 » a-t-il annoncé. Alors que la mine d’uranium de Cominak vient tout juste de fermer ses portes, et dans l’attente de l’exploitation prochaine de l’or noir nigérien, l’heure est à la diversification, mais aussi au renforcement des capacités agricoles.
En matière de gouvernance, a prévenu que « chaque responsable dans l’administration publique, répondra désormais tout seul et entièrement de ses actes ». Allusion à peine voilée au scandale ayant ébranlé l’administration en 2020, occasionnant un détournement de plusieurs milliards de F destinés à l’achat d’équipements pour les soldats nigériens sur la ligne de front contre le terrorisme. La promotion de la bonne gouvernance passera par « la pédagogie de l’exemple », a-t-il annoncé, rappelant qu’il sera « implacable contre les délinquants », tout en tendant la main à la société civile pour « mettre fin à certains malentendus ».
Enfin, il est revenu sur les récentes attaques terroristes « qui ont dépassé toutes les bornes » dénonçant de « vrais crimes de guerre ». Rappelant que les bases du terrorisme sont hors du territoire nigérien, notamment dans la région de Diffa où sévit Boko-Haram depuis 2015 et qui compte 130 000 réfugiés nigérians, il a déclaré qu’il engagera immédiatement des discussions avec les autorités du Nigéria pour renvoyer les réfugiés dans leur pays. « Tels quels, ces camps sont des fabriques potentielles de terroristes, voilà pourquoi il est urgent d’y mettre fin », a lancé Mohamed Bazoum.
Né en 1960 dans la région de Diffa, le nouveau président s’est imposé dans le cercle de Mahamadou Issouffou avant d’occuper le poste de ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique. Déjà trempé dans la cause panafricaniste à l’université au Sénégal où il étudie la philosophie, il a fait montre de son engagement dans le syndicalisme. Ce qui va précipiter son entrée dans le monde politique. A la tête du pays sahélien parmi les plus pauvres du monde, et dont l’histoire est jalonnée par quatre coups d’Etat, Mohamed Bazoum devrait tendre la main à l’opposition réunie autour de Mahamane Ousmane, son challenger à la présidentielle, pour apaiser la scène politique.