Contesté dans la rue depuis plusieurs mois, le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a été renversé par un coup d’État militaire dans la nuit de mardi 18 à mercredi 19 août. IBK a annoncé sa démission et la dissolution du gouvernement et du Parlement après son arrestation plus tôt dans la journée par des soldats mutins.
Plusieurs médias ont parlé d’une situation plutôt calme dans les rues de la capitale malienne, mais « avec un dispositif de sécurité renforcé ». Les organisateurs du coup d’État militaire ont rapidement annoncé qu’ils voulaient mettre en place un gouvernement civil de transition chargé d’organiser de nouvelles élections. « Quand on voit la première photo des mutins, ce sont des officiers supérieurs, contrairement à 2012 où c’était des sous-officiers qui avaient fait un coup d’État (…) Ils font les yeux doux avec la communauté internationale au niveau sécuritaire, ce sont des gens qui savent quand même qu’ils sont en train de marcher sur des œufs » souligne RFI au Mali. Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé tard, mardi soir, qu’il démissionnait et qu’il dissolvait le parlement, aggravant la crise dans un pays déjà confronté à une insurrection jihadiste et une vague de contestation.
Une Vague de protestations après les législatives
Les appels au dialogue de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et la pluie n’auront pas découragé les opposants. Les manifestations, sans incident, ont repris au Mali depuis le mois de Mai 2020. Des milliers de personnes se sont rassemblées à Bamako, réclamant la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta (IKB), accusé par l’opposition d’avoir mis en place un système « oligarchique et ploutocratique ».
Dans une déclaration, le Mouvement du 5 juin/Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), un des groupes leaders de la contestation, a affirmé que le peuple avait « droit aux mêmes égards exprimés en faveur de ceux du Burkina Faso, de Gambie, d’Algérie, mais aussi du Liban face à des dirigeants corrompus et sans vision constructive ». « Cette façon de gérer (…) a conduit le Mali au bord du gouffre et compromet aujourd’hui la stabilité dans le Sahel, voire dans la sous-région ». Deux mois après le début des manifestations, le mot d’ordre est resté le même : « Notre objectif est la démission d’IBK et de son régime », selon Issa Kaou Djim, le coordinateur de la plate-forme (CMAS) de soutien à l’imam Mahmoud Dicko, figure de proue du mouvement de contestation. « Même si on n’a pas aimé la manière de faire de la Cédéao, nous les remercions pour leur geste. Mais il est temps qu’on se parle entre Maliens », a déclaré l’imam Dicko. Les pancartes brandies par les manifestants visaient le président Keïta, au pouvoir depuis 2013, mais aussi son Premier ministre Boubou Cissé. C’est la première manifestation contre le pouvoir depuis la trêve annoncée le 21 juillet par l’opposition pour la fête musulmane de l’Aïd al-Adha. La crise actuelle, qui fait craindre à la communauté internationale que le Mali s’enfonce dans le chaos, a vu le jour début juin, après l’invalidation d’une trentaine de résultats des législatives de mars-avril par la Cour constitutionnelle. Les membres contestés de la Cour ont depuis lors été remplacés.
L’Armée aux commandes en attendant la transition
Un colonel de l’armée malienne, Assimi Goita, s’est présenté mercredi comme le nouvel homme fort à Bamako, au lendemain du coup d’État ayant renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, un putsch unanimement condamné à l’étranger. « Je me présente : je suis le colonel Assimi Goita, le président du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) », a déclaré à la presse cet officier supérieur qui était apparu dans la nuit de mardi à mercredi à la télévision nationale aux côtés d’autres militaires, sans prendre la parole. Il a estimé que son pays se trouvait « dans une situation de crise sociopolitique, sécuritaire » et n’avait « plus le droit à l’erreur ».
L’opposition malienne s’est félicitée mercredi du coup d’État militaire, estimant qu’il avait « parachevé » sa lutte pour obtenir le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta et se disant prête à élaborer avec la junte une transition politique. Elle s’est dite prête à fêter vendredi « la victoire du peuple malien ». La coalition d’opposition du M5-RFP « prend acte de l’engagement » du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), créé par les militaires désormais au pouvoir, « d’ouvrir une transition politique civile », a-t-elle indiqué dans un communiqué. Le colonel Goita ne pourra toutefois pas compter sur la moindre indulgence de la communauté internationale qui a unanimement condamné le putsch, réclamant le retour à l’ordre constitutionnel et la libération du président Keïta arrêté mardi par les militaires. Les pays membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont demandé la libération « immédiate » du président renversé et « souligné la nécessité pressante de rétablir l’État de droit et d’aller vers un retour de l’ordre constitutionnel ».
Fortement engagée au Sahel où elle combat les groupes djihadistes qui ont contribué à déstabiliser le Mali, la France a, par la voix du président Emmanuel Macron, a estimé que « la lutte contre les groupes terroristes et la défense de la démocratie et de l’État de droit sont indissociables ». « En sortir, c’est provoquer l’instabilité et affaiblir notre combat. Ce n’est pas acceptable », a-t-il poursuivi sur Twitter, en appelant à ce que le pouvoir soit « rendu aux civils ». L’UA a de son côté suspendu le Mali « jusqu’au retour de l’ordre constitutionnel » et demandé « la libération du président […] du premier ministre et des autres responsables du gouvernement arrêtés par la force par l’armée ».
La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui a tenté sans succès de résoudre la crise qui frappe le Mali depuis juin, a également suspendu ce pays avant une réunion jeudi en visioconférence. Elle a prévu de tenir jeudi une réunion extraordinaire de ses chefs d’État pour évoquer la question.
Par ailleurs, L’UE a réclamé la libération « immédiate » des dirigeants arrêtés et un « retour immédiat de l’état de droit ». La stabilité de la région et du Mali, la lutte contre le terrorisme doivent demeurer des priorités absolues, selon elle. Autre pays du Maghreb partenaire du Mali, le Maroc a appelé à une « transition civile pacifique, permettant un retour rapide et encadré à l’ordre constitutionnel ».
Halte au « vandalisme »
Ces condamnations n’ont pas dissuadé le colonel-major Ismaël Wagué, porte-parole du (CNSP), de demander à ses compatriotes de « vaquer librement à leurs occupations ». Il a aussi demandé « d’arrêter immédiatement les actes de vandalisme et de destruction des édifices publics ». Des manifestants ont incendié mardi le cabinet d’avocat de l’ex-ministre de la Justice Kassim Tapo. Ismaël Wagué n’a en revanche rien dit sur le président Keïta, dit IBK, ni le chef du gouvernement, Boubou Cissé, toujours au camp militaire de Kati, le quartier général des auteurs du coup d’État près de Bamako.