Le long de l’itinéraire emprunté par Laurent Gbagbo dans son pays qu’il avait été contraint de quitter il y a dix ans, à peine trois mois après son acquittement définitif de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI), ils étaient encore des milliers à avoir bravé depuis le matin les jets de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes. Après un accueil mémorable à l’aéroport offert par des proches, de milliers de militants du Front populaire ivoirien (FPI), dont les « Gbagbo ou rien » (GOR), et de centaines de journalistes, le cortège de l’ancien président a traversé Abidjan du sud au nord pour rejoindre dans la soirée le quartier d’Attoban, son ancien QG de campagne de la présidentielle de 2010. Dans le brouhaha d’une salle surexcitée, Laurent Gbagbo se saisit du micro pour sa première prise de parole publique en Côte d’Ivoire depuis dix ans : « Je suis heureux de retrouver la Côte d’Ivoire et l’Afrique ». Il a ensuite exprimé sa gratitude à ceux qui se sont mobilisés pour la cause : « Je suis ivoirien mais j’ai appris en prison que j’étais d’Afrique. Toute l’Afrique me soutient ». Puis, il aborde les questions politiques. Il évoque le FPI, insiste sur le fait que « depuis que nous allons aux élections, sans être au pouvoir, c’est le plus grand nombre de députés que nous ayons eu ». Après une petite dizaine de minutes de minutes d’un discours empreint d’émotion, souvent couvert par les cris de joies de ses partisans, Laurent Gbagbo quitte la salle. Direction : domicile de sa seconde épouse, Nady Bamba.
Au lendemain d’une journée tout aussi historique que chaotique, la vie quotidienne a repris son cours. A Attoban, la foule a totalement disparu. La rue est envahie de déchets, tout comme les artères alentours où les partisans de l’ancien chef d’Etat sont restés bloqués une partie de la soirée. Dans le bâtiment qui va devenir le bureau de Laurent Gbagbo, il ne reste que quelques jeunes qui ont dormi sur place, faute de pouvoir rentrer chez eux. « On leur a mis des cartons », explique un gardien. Les automobilistes ont retrouvé les bouchons caractéristiques de la capitale économique. Seules les Unes des journaux affichées dans les rues retracent l’événement. Si la difficulté à organiser un retour de Laurent Gbagbo sans accrochages est révélatrice d’un climat de tensions persistant entre les pro-Gbagbo et le régime en place, l’événement du 17 juin est une nouvelle opportunité pour une véritable réconciliation en Côte d’Ivoire. Les négociations entre le pouvoir et le camp de Gbagbo sont de très bons signaux d’apaisement à la population. Si les perspectives politiques de l’ancien président ne sont pas connues, son retour a manqué de remettre Simone, l’autre star, sous les feux des projecteurs.
En 1982, au lendemain des événements du 9 février, avec Simone, Laurent Gbagbo crée un mouvement clandestin qui deviendra le FPI. Le 11 avril 2011, à 13 h 08, après des semaines de combats, une dernière campagne de frappes conduit à l’arrestation de Laurent Gbagbo entouré de Simone, et son fils Michel. Tous épuisés et affamés. Quelques minutes plus tard, Laurent Gbagbo est affublé d’un gilet pare-balles et d’un casque, puis emmené sans encombre jusqu’au Golf Hôtel. Son épouse, Simone, a moins de chance. A son arrivée dans le hall, elle est reconnue, insultée, et agressée. Tresses arrachées, vêtements déchirés. Chambre 468, Simone Gbagbo apparaît prostrée, yeux fermés. Son mari s’éponge le visage, les aisselles, change de chemise et parle à ses geôliers. Le long exil européen de Laurent a-t-il épongé tous les souvenirs de la longue lutte aux côtés de Simone Gbagbo, du 9 février 1982 au 11 avril 2011 ?