Louée pour son professionnalisme tout au long du processus, la commission électorale a fini par se désintégrer le 15 août 2022. Quatre commissaires sur sept ont fait défection à quelques heures de l’annonce des résultats. « Je ne peux pas reconnaître les résultats à cause de la façon opaque dont ils ont été gérés », a annoncé, lors d’une conférence de presse improvisée dans un hôtel de Nairobi, la vice-présidente de la commission électorale, Juliana Cherera, promettant des informations supplémentaires dans les jours à venir. Les quatre contestataires de la commission n’ont cependant pas le pouvoir d’annuler les résultats.
Le 13 août, sentant que la balance commençait à pencher en faveur du camp adverse, Saitabao Kanchory, le principal représentant de Raila Odinga au sein de la commission électorale, s’était emparé du micro : « Je veux dire aux Kenyans que le QG de la commission électorale est une scène de crime », avait-il lancé, sans plus de détails sur d’éventuelles irrégularités. Le 15 août, le même homme s’en est pris physiquement à trois commissaires qui s’apprêtaient à annoncer les résultats finaux. La scène a viré au chaos généralisé. Deux commissaires ont été blessés et un pupitre jeté du haut du podium. Quelques minutes plus tard, Wafula Chebukati, le président de la commission électorale, est tant bien que mal parvenu à annoncer les résultats finaux : « Je me dois de me tenir devant vous malgré les intimidations », a-t-il dit, avant de déclarer William Ruto vainqueur.
Si dans le président élu William Ruto a promis « qu’il n’y aurait pas de place pour la vengeance », plusieurs observateurs craignent un possible embrasement comme ce fut le cas lors du scrutin de 2007, où plus de 1 100 personnes avaient trouvé la mort dans des affrontements post-électoraux. De fait, les soutiens de Raila Odinga, notamment issus de sa communauté, les Luo (12 % de la population), sont descendus dans des quartiers de la capitale, Nairobi, et de Kisumu, le principal fief de l’opposition, après l’annonce des résultats. Le Kenya, où 2 millions de personnes ont plongé dans la pauvreté depuis la pandémie de COVID-19, risque de s’enfoncer dans une énième crise post-électorale, malgré les appels au calme. La veille de l’annonce des résultats, les candidats se sont rendus simultanément à l’église et y ont tous les deux prêché la paix. Mais peut-on croire en la bonne foi de William Ruto et de Raila Odinga ? Anciens alliés lors de l’élection de 2007, les deux hommes avaient été au cœur de la pire crise qu’ait connue le Kenya indépendant.