La Justice de Côte d’Ivoire l’a également privé de ses droits civiques pendant 5 ans, et sommé de verser 2 milliards de francs CFA de dommages et intérêts au Trésor public. Sa maison d’Abidjan, achetée selon les juges en 2007 avec des fonds publics, a été confisquée. Un nouveau mandat d’arrêt contre le candidat à la prochaine élection présidentielle a été lancé le 28 avril dernier.
Au terme d’un procès marathon d’environ trois heures de temps, la Justice ivoirienne eût la main lourde contre Guillaume Soro, ancien Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale, actuel candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2020 du mouvement Générations et peuples solidaires (GPS). Pour « recel de détournement de deniers publics » et « blanchiment de capitaux », le député de Ferkessédougou au nord du pays, a été condamné à 20 ans de prison ferme. Cette condamnation auréolée d’un nouveau mandat d’arrêt contre Guillaume Soro, est consécutive au cinglant revers essuyé par la Côte d’Ivoire devant la Cour africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), basée à Arusha en Tanzanie.
La décision de la CADHP
L’institution de l’Union africaine qui avait été saisie début mars par Guillaume Soro et ses proches, a rendu son verdict le 22 avril 2002. Dans sa décision, elle « ordonne à l’Etat défendeur (la Côte d’Ivoire) de surseoir à l’exécution du mandat d’arrêt contre Guillaume Soro ». Candidat déclaré à l’élection présidentielle ivoirienne prévue en octobre, Guillaume Soro faisait l’objet depuis fin décembre 2019 d’un mandat d’arrêt par la justice ivoirienne pour une tentative présumée d’« insurrection », accusation démentie par l’ex-chef de la rébellion des années 2000. La Cour ordonne aussi de « surseoir à l’exécution des mandats de dépôt » contre 19 proches de Guillaume Soro accusés de complicité à divers degrés, actuellement détenus en Côte d’Ivoire, et leur mise en « liberté provisoire » : il s’agit de cinq députés et de membres de son parti, dont d’anciens ministres, ainsi que de deux de ses frères.
Pour justifier sa décision prise « à l’unanimité », la CADHP estime que le mandat d’arrêt et les mandats de dépôt risquent de « compromettre gravement l’exercice des libertés et des droits politiques des requérants ». La Cour invoque également le risque de « dommages irréparables » pour les requérants et la « présomption d’innocence » en leur faveur.
Réaction du camp de Guillaume Soro
« Je reste candidat à la présidentielle et je gagnerai », sont les premiers mots de président du GPS, sur sa plateforme digitale officielle Facebook, à la suite de sa condamnation. L’homme écrit que « c’est une sentence qui ne nous émeut absolument pas. La parodie de procès à laquelle nous avons assisté ce jour est la preuve ultime que l’Etat de droit est définitivement enterré par Alassane Ouattara ». Il traite le président ivoirien d’ « homme qui porte avec beaucoup d’aisance les habits de dictateur ».
Pour le Mouvement des Démocrates Ivoiriens (MDI), cet « épiphénomène contre la candidature du concurrent le plus sérieux à la prochaine élection présidentielle du 31 Octobre 2020, n’est autre chose que de l’injustice politique de plus parmi tant d’autres en Côte d’Ivoire à noter l’arrestation arbitraire des membres de Génération et Peuples Solidaires en date du 23 décembre 2019 au siège du mouvement à Abidjan ».
Où va la Côte d’Ivoire ?
Le pays d’Alassane Ouattara a retiré sa déclaration de compétence de la Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples, le 29 avril par la voix du porte-parole du gouvernement ivoirien, dénonçant des « agissements intolérables » de cette juridiction. Concrètement, ce « retrait de déclaration de compétence » fait qu’il ne sera plus possible aux ONG et aux personnes privées de saisir directement la CADHP à laquelle la Côte d’Ivoire continue d’adhérer.
Pour le gouvernement ivoirien, la CADHP n’a pas rempli son rôle : « cette décision fait suite aux graves et intolérables agissements que la Cour africaine s’est autorisée dans ses actions », a affirmé Sidi Tiemoko Touré, par ailleurs ministre de la Communication.
A la suite de la décision du gouvernement de « retirer la déclaration de compétence prévue au protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples émise le 19 juin 2013 », les réactions se sont multipliées à travers le monde. Pour Amnesty International, « retirer aux individus et ONG le droit de soumettre directement des plaintes à la Cour marque un recul pour les droits humains en Côte d’Ivoire ».
Alice Banens, conseillère juridique pour l’Afrique à Amnesty International, souligne que cette décision « intervient dans un contexte pré-électoral où le gouvernement ivoirien a multiplié les attaques contre des opposants politiques et voix dissidentes ».
Le ministre des Affaires étrangères Ally Coulibaly, qui a martelé que la Côte d’Ivoire ne quittait pas la CADHP, a estimé que celle-ci avait pris une « décision politique » concernant Guillaume Soro. Cette décision « confère une certaine immunité pénale à quelqu’un qui veut être candidat aux prochaines élections. C’est inacceptable », a-t-il déclaré.
« Nous avons des juridictions qui fonctionnent bien. Notre justice est impartiale. On ne peut pas accepter que nos juridictions soient affaiblies à cause de cette adhésion à ce protocole de reconnaissance de compétence », a conclu Ally Coulibaly comme pour inviter Guillaume Soro à se défendre devant les juridictions ivoiriennes dans une affaire ivoirienne.