Le financier présumé du génocide des Tutsis au Rwanda, a été arrêté ce samedi 16 mai à Asnières-sur-Seine. Depuis l’émission d’un mandat d’arrêt international à son encontre, il s’est écoulé plus de deux décennies pendant lesquelles le génocidaire s’est joué de la justice.
C’est une belle fortune et de solides réseaux qui ont permis à Félicien Kabuga d’échapper au mandat d’arrêt émis par le Tribunal pénal international pour le Rwanda en 1997. Malgré une mise à prix de 5 millions de dollars par Washington et un fichage par Interpol, l’homme d’affaires du nord du Rwanda a longtemps poursuivi son commerce depuis le Kenya, bénéficiant du soutien de l’ex-président.
On retrouve ensuite sa trace en Belgique, où réside une partie de sa famille, au Luxembourg, en Suisse, en Allemagne. En 2007, son gendre, l’ex-ministre du Plan, est arrêté à la demande du TPIR.
Mais Félicien Kabuga, qui a été fraîchement opéré du cœur, y échappe et reprend la route. À deux reprises au moins, l’homme âgé de 85 ans avait tenté une négociation avec le tribunal international, un plaidé-coupable contre une peine allégée, sans succès. Il est donc finalement arrêté à Asnières-sur-Seine, près de Paris.
Coopération au plus haut niveau
Une source judiciaire à La Haye indique que Félicien Kabuga résidait depuis plusieurs années déjà sur le territoire français. C’est l’équipe internationale chargée de sa traque qui aurait informé les autorités françaises. L’étau s’est resserré au cours des dernières semaines, selon le bureau du procureur : les enquêteurs obtiennent alors une coopération exemplaire et au plus haut niveau des autorités françaises. Mais des zones d’ombre persistent toujours sur sa longue cavale et sur les complicités dont il aurait bénéficié pendant vingt-trois ans, notamment en Europe. Le parquet général indique qu’il résidait à Asnières-sur-Seine sous une fausse identité.
« Il résidait sous une fausse identité dans un appartement d’Asnières-sur-Seine, grâce à une mécanique bien rodée et avec la complicité de ses enfants », indique le parquet général de Paris dans un communiqué.
L’homme d’affaires est considéré comme l’architecte financier du génocide. Proche du pouvoir, il était membre de l’Akazu, un cercle d’hommes influents dirigé par la femme de l’ex-président rwandais, Agathe Habyarimana. Félicien Kabuga est accusé d’avoir formé des milices responsables de massacres au Rwanda : les milices Interahamwe.
Avec d’autres, Félicien Kabuga se charge aussi d’armer les esprits, reproche l’acte d’accusation. Il présidait la Radiotélévision libre des Mille-Collines (RTLM), qui diffusa des appels aux meurtres des Tutsi, et le Fonds de défense nationale (FDN) qui collectait « des fonds » destinés à financer la logistique et les armes des miliciens hutu Interahamwe, selon l’acte d’accusation du TPIR.
En procès, il devra répondre de sept chefs d’accusation pour génocide et crimes contre l’humanité. Pour l’instant, nul ne sait si cet homme de 84 ans sera jugé à Arusha ou à La Haye. Après sa comparution devant la chambre des mises en accusation à Paris dans les prochains jours, Félicien Kabuga dans un premier temps va être transféré à La Haye. Il devra alors dire s’il plaide coupable ou non coupable des crimes reprochés.
La Haye sur le qui-vive
Après cette arrestation, Serge Brammertz, le procureur du Mécanisme international de La Haye a rapidement réagi en rappelant que toutes les personnes suspectées d’avoir eu un rôle dans ce génocide devront être jugées.
Human Rights Watch salue avec l’arrestation de Félicien Kabuga « un pas important vers la justice pour des centaines de milliers de victimes du génocide ». Selon l’organisation de défense des droits de l’Homme cette arrestation montre que les survivants « peuvent espérer voir de la justice même 26 ans après les faits, et que les suspects ne peuvent espérer échapper à leurs responsabilités ».
« C’est un signe très important, même si nous avons attendu longtemps, assure de son côté le président d’Ibuka, la principale association de rescapés. Cela montre que la justice fonctionne et que la France commence à faire des efforts significatifs pour faciliter de telles arrestations. » Jean-Pierre Dusingizemungu souligne que les victimes souhaiteraient maintenant voir Félicien Kabuga jugé au Rwanda. « Ce que les victimes du génocide souhaitent c’est que, évidemment et ça se comprend, Félicien Kabuga soit amené ici au Rwanda ou il a organisé le génocide contre les Tutsis. Ce serait le souhait le plus cher des rescapés. »
Jean Damascène Bizimana, secrétaire exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide, salue cette arrestation. « C’est une réaction de satisfaction. Parce que je sais que Félicien Kabuga est l’un des principaux meneurs du génocide commis contre les Tutsis. Et vu qu’il est arrêté pendant la période des 100 jours de commémoration du génocide commis contre les Tutsis, vingt-six ans après les faits, c’est pour nous un moment de satisfaction qui montre que le génocide est un crime imprescriptible. C’est un pas que nous saluons pour l’honneur et la mémoire des victimes. »
Qui l’a aidé en cabale?
Le bureau du procureur assure en tout cas dans un tweet que le Rwanda va continuer à collaborer avec le mécanisme pour les tribunaux internationaux, qui a pris la suite du Tribunal pénal international pour le Rwanda, afin que justice soit rendue.
Sur Twitter, des questions sont aussi posées également. Yolande Makolo conseillère du président Paul Kagame, demande comment a-t-il pu se cacher aussi bien et pendant si longtemps. Nous le saurons peut-être maintenant. Tandis que certains internautes pointent du doigt un lien privilégié entre la France et les anciens génocidaires. Pas encore de réactions officielles, en tout cas, que ce soit du côté de la présidence ou des différents ministères.
Les commémorations du génocide sous confinement
Le 7 avril 2020, des commémorations du 26e anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda ont eu lieu. Des commémorations un peu particulières cette année puisqu’elles se sont déroulées sous confinement. La plupart des évènements qui ont habituellement lieu dans tous les districts ont été annulés et les Rwandais ont été invités à se recueillir chez eux.
Seule une petite délégation s’est rendu au mémorial de Gisozi, à Kigali, où le président Paul Kagame a émis un discours. Une courte cérémonie retransmise à la radio et à la télévision.