« Aujourd’hui, nous passons de la parole aux actes », déclarait, le 2 septembre, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, annonçant les sanctions contre la procureure de la Cour pénale internationale (CPI). Depuis lors, Fatou Bensouda et Phakiso Mochochoko, membre de l’équipe de la procureure, sont désormais placés sur la liste noire des Etats-Unis. Leurs éventuels avoirs aux Etats-Unis sont gelés, ils ne peuvent pas utiliser le système financier américain et l’accès au territoire américain leur est interdit. Washington ne décolère pas contre la décision prise en appel en mars d’autoriser l’ouverture d’une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Afghanistan malgré l’opposition de l’administration Trump. L’enquête souhaitée par la procureure Fatou Bensouda vise entre autres des exactions qui auraient été commises par des soldats américains dans le pays où les Etats-Unis mènent depuis 2001 la plus longue guerre de leur histoire. Des allégations de torture ont également été formulées à l’encontre de la CIA.
Concrètement, le compte que possède Fatou Bensouda auprès de la Caisse fédérale de crédit des Nations unies, réservée au personnel de l’ONU et des organisations qui lui sont liées, a été gelé. Ses cartes bancaires liées au système monétaire américain ont également été désactivées. « Certaines banques n’ont pas forcément l’obligation de respecter le décret et les sanctions américaines, mais elles ont tendance à faire du zèle pour éviter toute complication », confie un proche de Fatou Bensouda. Des virements effectués d’une banque à une autre ont ainsi été renvoyés, et des transactions en dollars bloquées. En plus de la procureure et du Lesothan Phakiso Mochochoko, le secrétaire d’Etat Mike Pompeo avait prévenu : « tout individu ou entité qui continuera à assister matériellement ces individus s’expose également à des sanctions ». Une déclaration qui élargit considérablement le spectre potentiel des sanctions, qui pourraient viser directement le personnel de la CPI. Ces sanctions pourraient également viser toute personne qui aiderait matériellement la CPI à mener ses investigations, comme des associations de victimes, voire des avocats. Les sanctions américaines ainsi mises en œuvre, violent-elles le droit international ?
Indépendamment de la CPI, tous les Etats se sont engagés à réprimer les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, que ce soit dans la Convention pour la prévention et la répression du génocide de 1948, les conventions de Genève de 1949, etc. En punissant des fonctionnaires de la CPI qui font un travail que tous les Etats se sont engagés à faire, les Etats-Unis violent la déclaration sur les relations amicales. Selon le 4e principe de cette déclaration, les Etats s’engagent à « coopérer pour assurer le respect universel et la mise en œuvre des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous ». Les Etats-Unis violent aussi les règles internationales qui les lient, même s’ils ne sont pas parties, au Statut de Rome. De même, en interdisant à la procureure Fatou Bensouda de se rendre aux Etats-Unis, ils violent aussi l’accord de siège conclu entre ce pays et les Nations unies dont le siège est à New-York. Dans le cadre de cet accord, les Etats-Unis doivent accorder les facilités, dont les visas et la sécurité, à tous les représentants des Etats membres et organisations internationales œuvrant en coopération avec les Nations unies.
Les fonctionnaires de la CPI frappés par ces sanctions peuvent en demander réparation devant les tribunaux américains en se prévalant du droit international. Ils ont aussi la possibilité de faire un recours administratif auprès de l’Office of Foreign Assets control (OFAC), une agence américaine dépendant du département de la justice, qui est chargée de l’information financière et de la mise en vigueur des sanctions. Ils pourront démontrer auprès de l’OFAC que ces sanctions ne sont pas fondées au regard du droit international. La notion de protection diplomatique peut intervenir pour les deux fonctionnaires : soit c’est la CPI qui invoque la protection fonctionnelle soit c’est l’Etat de la nationalité qui invoque la protection diplomatique.