Le quitus qu’il attendait de Paris pour faire son troisième mandat n’a pas été obtenu. Il soupçonne certaines personnes d’avoir travaillé à affaiblir sa position avant même que l’entretien avec le chef de l’État français n’ait lieu. Il dit haut et fort que ses proches l’ont trahi et il découvrira qui est le coupable. La méfiance s’est agrandie et la suspicion est devenue extrême, de sorte qu’aujourd’hui, tout le monde surveille tout le monde. Chaque parole, même la plus anodine, est rapportée au Président de la République.
Pourtant Bakayoko est l’un de ses hommes de confiance
Tout juste élu maire d’Abobo, le ministre de la Défense est l’un des hommes les plus puissants du gouvernement. Il se défend d’une quelconque ambition pour Octobre 2020. Depuis son arrivée à la Défense, il y a bien eu ce pic de tension à Bouaké, en janvier, mais globalement la situation s’est apaisée. « Pour l’instant, la méthode Bakayoko paye, estime l’universitaire Arthur Banga. Cela dit, il s’agit pour beaucoup de communication. Les problèmes de fond perdurent. » Un autre spécialiste de l’armée se fait plus sévère : « Il faut des réformes structurelles et un vrai connaisseur. Hamed Bakayoko à la Défense, c’est le symbole de la faiblesse d’Alassane Ouattara dans ce domaine. »
Mais, d’après l’entourage du président, Hamed Bakayoko était le seul à même de faire face à Guillaume Soro, cet allié soupçonné d’être derrière les déstabilisations du pays. À 53 ans, il sait parler aux jeunes et aux habitants des quartiers populaires. « Comme vous, j’ai dormi sur une natte, et c’est moi qu’on envoyait au marché. Nous avons la même histoire et nous pouvons avoir le même destin », scande le natif d’Adjamé, un autre quartier populaire d’Abidjan, devant les Abobolais. L’ancien patron de la radio Nostalgie n’hésite pas à débarquer au milieu de la nuit à l’Internat, le temple populaire du zouglou.
« Il est proche du peuple, il partage ses goûts, fréquente parfois les mêmes lieux. Ce n’est pas un politique en costume et cravate », résume Salif Traoré, alias A’Salfo, le leader du groupe Magic System. Un jour avec Karim Keïta, le fils du président malien venu le soutenir, le lendemain avec la star congolaise Koffi Olomidé ; un matin casquette sur la tête en meeting, l’après-midi en costume à Conakry… Hamed Bakayoko est un caméléon.
Depuis trente ans, il marche au culot. Ally Coulibaly, aujourd’hui ministre et alors directeur de la Radiodiffusion-télévision ivoirienne (RTI), se souvient de ce jeune qui faisait le pied de grue devant ses locaux. « C’était en 1990, on tournait le film de campagne pour la réélection de Félix Houphouët-Boigny. Plusieurs jours, je l’ai vu devant notre siège. Il soutenait le président et voulait témoigner. J’ai fini par lui dire d’entrer. Devant les caméras, il a été percutant. »
Alassane Ouattara se rappelle cette interview lorsque, Hamed Bakayoko se présente, sans invitation, à son mariage avec Dominique Nouvian. L’effronté vient alors de créer un journal, Le Patriote, et souhaite couvrir l’événement. « C’est leur premier vrai contact », se remémore Ally Coulibaly. Aujourd’hui, Hamed Bakayoko est l’une des personnes les plus proches du couple présidentiel. Lui qui a perdu sa mère lorsqu’il était enfant dit de la première dame qu’elle est sa « deuxième maman ».
Doté d’une forte personnalité
À l’époque, s’il n’évolue pas encore dans les plus hautes sphères politiques, l’imposant et bagarreur Hamed est déjà une figure des campus. Après s’être éveillé à la politique dans le Burkina Faso de Thomas Sankara, où, en 1984, il est parti suivre des études de médecine, il rentre à Abidjan et devient le patron de la Jeunesse estudiantine et scolaire du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (JESPDCI). Alors que, pendant ces années-là, l’ambiance est chaude dans les universités, très politisées, il est chargé d’infiltrer la puissante Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci).
Partisan de la négociation
Déjà, Hamed est un homme de mission. Intuitif, il a le contact facile et des connaissances dans tous les milieux. Durant la rébellion, alors que les relations sont tendues entre Amadou Gon Coulibaly et Guillaume Soro, il est l’un des messagers du RDR auprès des FN. Ces dernières années, c’est lui qui devait « gérer » Pascal Affi N’Guessan.
« Il est peu à peu devenu indispensable », estime un cadre du RDR. Même Amadou Gon Coulibaly, l’une des rares personnes pouvant prétendre être plus proche que lui du président, n’a pas eu gain de cause quand il a souhaité le sortir du gouvernement, en janvier 2017. Le Premier ministre voyait-il en lui un rival pour la présidentielle de 2020 ?
Des amitiés par-delà les frontières
Régulièrement envoyé spécial d’Alassane Ouattara, Hamed Bakayoko a été à la manœuvre en 2017 lors de la médiation au Togo, où il entretient de très bons rapports avec Faure Gnassingbé. Proche du Burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, il l’avait fortement soutenu lors de sa campagne présidentielle, en 2015.
On le voit aussi régulièrement avec Karim Keïta, le fils du dirigeant malien Ibrahim Boubacar Keïta, ou en compagnie du souverain marocain Mohammed VI. Enfin, il est proche d’Ali Bongo Ondimba à l’époque, c’est Maixent Accrombessi, qui était le directeur de cabinet du président gabonais, qui avait fait le lien.
Pendant ce temps, la candidature d’Ouattara acceptée
Le Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire a validé, lundi 14 septembre 2020, la candidature du président Alassane Ouattara à un troisième mandat controversé. Il a, en revanche, rejeté celles de l’ex-président Laurent Gbagbo et de l’ex-chef rebelle et ex-premier ministre Guillaume Soro, qui ont tous les deux été condamnés par la justice ivoirienne.
Seules quatre des 44 candidatures déposées à la commission électorale ont passé le «cut» du Conseil constitutionnel. Alassane Ouattara, qui promet une victoire «un coup KO» (au premier tour) aura donc comme adversaires son vieux rival, ancien allié et ancien président Henri Konan Bédié (1993-1999), Pascal Affi Nguessan, ancien premier ministre sous la présidence de Laurent Gbagbo, et l’ancien député Kouadio Konan Bertin, dissident du parti d’Henri Konan Bédié. La crainte de violences meurtrières à l’approche scrutin du 31 octobre et après les élections, est forte, dix ans après la crise née de la présidentielle de 2010 qui avait fait 3000 morts. Cette crise était née du refus du président Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite électorale face à Alassane Ouattara.