C’est sans surprise que ce candidat du parti au pouvoir a été élu dimanche 24 mai 2020. Évariste Ndayishimiye accède donc à la magistrature suprême après avoir été pendant quinze ans dans l’ombre du président sortant Pierre Nkurunziza.
Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique en 2006, puis tour à tour chef de cabinet militaire et civil du président, Évariste Ndayishimiye est un pilier du système au pouvoir depuis quinze ans. Ce fervent catholique, originaire de la région de Gitega est un fidèle de Pierre Nkurunziza. À la fin des années 1990, les deux hommes gravissent un à un les échelons de la rébellion qu’Évariste Ndayishimiye avait rejoint après avoir échappé en 1995 à un massacre d’étudiants.
Évariste Ndayishimiye venait d’entrer à l’université du Burundi lorsque la guerre civile éclata en 1993. Il était en deuxième année de droit quand fut perpétré le massacre de dizaines d’étudiants hutus par des extrémistes tutsis en 1995, un épisode dont il réchappa par miracle et qui le convainquit de prendre les armes.
Ce dernier devient l’un des principaux chefs militaires de la rébellion. À ce titre, il participe en 2003 à la signature de l’accord de cessez-le-feu qui met fin à la guerre civile. À partir de là, l’ascension du général Ndayishimiye se fait dans l’ombre de Pierre Nkurunziza. En 2016, il devient secrétaire général du CNDD-FDD et quitte l’armée pour pouvoir prétendre à la magistrature suprême. Le 26 janvier 2020, il est intronisé comme candidat du parti au pouvoir.
Toutefois, Pierre Nkurunziza préférait pourtant la candidature du président de l’Assemblée nationale Pascal Nyabenda, mais il finit par céder sous la pression d’un petit groupe de généraux qui ne voulaient pas d’un civil à la tête de l’État. La question est maintenant de savoir si Évariste Ndayishimiye parviendra à s’émanciper de ces généraux et de son prédécesseur et à réconcilier un pays en crise depuis cinq ans.
Nkurunziza salue la victoire de son dauphin
Satisfait de la victoire d’Évariste Ndayishimiye à la présidentielle du 20 mai dernier, Pierre Nkurunziza ne s’est pas empêché de féliciter ce dernier qui devrait prêter serment en août prochain pour un mandat de sept ans. Il a suffi d’un seul tweet pour que le président burundais exprime le sentiment qu’il éprouve du fait du sacre de son dauphin. « Je félicite chaleureusement le président élu le général major Évariste Ndayishimiye pour sa large victoire qui confirme que la grande majorité de Burundais adhèrent aux projets et aux valeurs qu’il incarne. Nous sommes des témoins privilégiés de l’Histoire », peut-on lire sur la page Twitter de Pierre Nkurunziza.
Large victoire, oui, à en croire les résultats rendus publics par la commission électorale. D’après l’institution, Évariste Ndayishimiye a obtenu 68,72 % des voix contre 24,19 % pour Agathon Rwasa, candidat du parti d’opposition, le Conseil national pour la liberté (CNL). Évariste Ndayishimiye pourrait ainsi prêter serment en août prochain et devenir le 12è président du petit État d’Afrique centrale.
Quelle marge de manœuvre pour le nouveau Chef d’Etat
Pourtant, plusieurs témoins l’ayant côtoyé à l’époque de la guérilla et interrogés par l’Initiative brossent le portrait de quelqu’un de simple, proche du peuple, plutôt tolérant, peu corrompu et ne s’inscrivant pas dans les schémas ethniques, mais aussi d’une personnalité manquant de caractère et plus encline à suivre un chef qu’à diriger.
« C’est un homme plutôt ouvert, d’abord facile, qui aime blaguer et rire avec ses amis », mais aussi plutôt colérique, s’emporte très facilement au risque de s’enflammer », confirme un de ses amis en anonymat.
« Il a une réputation d’ouverture et d’honnêteté contrairement aux autres généraux », décrypte un diplomate fin connaisseur des arcanes du pouvoir burundais. « C’était le meilleur choix, mais il aura fort à faire pour impulser le changement et l’ouverture à l’opposition dans un parti dominé par un courant extrémiste et sectaire. »
Comme le président sortant, un évangélique « Born again », Évariste Ndayishimiye est un fervent croyant et pratiquant, mais de confession catholique. Cela pourrait aider le pouvoir à renouer avec l’Église catholique, qui n’a pas mâché ses mots à l’égard de la dérive observée depuis 2015. Son profil plutôt modéré pourrait aussi lui valoir une certaine bienveillance de la communauté internationale et l’aider à briser un peu l’isolement du pays. D’abord critique à l’égard de la Belgique, l’ancien colonisateur, et de l’Union européenne, il s’est montré plus conciliant ces derniers temps. Il « a lancé des signaux d’ouverture à la communauté internationale, et elle est prête à le reconnaître et à renouer avec lui », explique un autre diplomate.
Redresser une économie fragilisée
Le Burundi est d’ailleurs toujours sous le coup de sanctions de ses principaux bailleurs de fonds (UE, Belgique, Allemagne…). Ce changement à la tête de l’État pourrait changer la donne alors que depuis cinq ans, et le troisième mandat du président sortant, le Burundi a vu son économie s’effondrer et le taux de pauvreté exploser. La dépréciation du franc burundais, la pénurie de produits importés sont les conséquences de l’isolement du régime.
Les retombées économiques de la crise sanitaire de Covid-19, même si le pays n’a pour l’instant officiellement recensé que 27 cas (1 décès) de coronavirus et n’a adopté aucune des mesures de confinement prises par ses voisins, pourraient de plus annihiler la timide embellie constatée ces derniers mois.
« Sur le plan économique, le Burundi n’est pas encore sorti de la crise de 2015, car presque tous les indicateurs sont encore au rouge, même si une petite reprise semblait s’amorcer », déclare à Gabriel Rufyiri, président de l’Olucome, une des principales organisations burundaises de lutte contre la corruption.
La Banque mondiale projetait une croissance de 2 % pour 2020, un taux en hausse constante depuis 2017, après deux années de récession en 2015 (- 3,9 %) et 2016 (- 0,6 %), mais très inférieur à celui de la plupart des pays africains. « Malheureusement, ce petit espoir est en train d’être hypothéqué par les conséquences de la crise sanitaire », estime l’activiste. Le gouvernement a ordonné, comme seule mesure significative, la fermeture des frontières, seule celle avec la Tanzanie restant ouverte aux poids lourds. Depuis, le commerce transfrontalier est paralysé et les hôtels et restaurants de Bujumbura sinistrés.
Les devises étrangères, dont le pays manquait déjà cruellement depuis 2015, se sont encore raréfiées, constatent les cambistes, contraints à travailler clandestinement depuis que le gouvernement a décidé en février la fermeture de tous les bureaux de change. La banque centrale du Burundi (BRB) ne dispose plus que de deux à trois semaines de réserves en devises étrangères pour les importations, contre trois mois avant le début de la crise. Le Burundi est classé parmi les trois pays les plus pauvres au monde. Selon une estimation de la Banque mondiale, 75 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Ce taux était d’environ 65 % à l’arrivée au pouvoir de Pierre Nkurunziza en 2005.