Il y a 19 ans, 4 attentats suicides causaient plus de 3 000 morts aux Etats-Unis. A 8h46 la matinée du 11 septembre 2001, toutes les caméras sont braquées sur la tour nord du World Trade Center, en flammes. La possibilité d’un accident est encore évoquée. Puis balayée à 9h03, lorsqu’un deuxième avion s’écrase sur la seconde tour. Les Etats-Unis sont attaqués. Le président George Bush prend la parole à 9h29 et évoque d’emblée la piste terroriste. Sous l’ombre du Coran et justice sociale en Islam, qui deviendront les évangiles des islamistes, New York était l’anti-Islam comme d’autres furent l’Antéchrist. Exécuté par le régime de Gamal Abdel Nasser en Egypte, le penseur Sayyid Qutb a légitimé et encouragé un usage généralisé de la violence pour imposer l’islam comme programme politique, qui a influencé al-Qaida comme l’organisation Etat islamique.
La pensée de Sayyid Qutb, né le 9 octobre 1906 en Egypte, se radicalise lors d’un séjour aux Etats-Unis, entre 1948 et 1950. La mixité, la liberté dont jouissent les femmes et le matérialisme lui déplaisent fortement. Cette expérience le conduit à une condamnation de l’Occident « décadent ». Après que Qutb fut exécuté en prison en 1966 par le régime de Gamal Abdel Nasser, ses disciples, dont Oussama Ben Laden, devinrent à leur tour obsédés par New York. Al-Qaida, l’organisation terroriste se donne pour objectif de combattre l’Occident et les régimes « impies » par la violence. A partir du conflit afghan, creuset du mouvement djihadiste contemporain, cette idéologie se diffuse dans le monde entier, et atteint un pic avec les attentats du 11 septembre 2001. Adepte d’un Islam radical, Ben Laden se percevait en nouveau commandeur des croyants, destiné à restaurer le Califat dans la lignée du prophète Mahomet. Dans cette démarche, il lui fallait nécessairement prendre La Mecque ainsi que Mahomet y parvint. Cette victoire exigeait que l’armée saoudienne soit vaincue ou qu’elle se soumette à Ben Laden. Ce qui lui semblait possible si les Etats-Unis cessaient de soutenir le régime saoudien. Pareil pour la tyrannie égyptienne que Ben Laden estimait aussi manipulée par les Etats-Unis.
L’attentat du 11 septembre 2001 n’était donc pas tant un acte militaire que mystique : Ben Laden n’envisageait évidemment pas de conquérir l’Amérique. Mais par-delà le sacrifice inspiré par Qutb, le 11 septembre s’inscrit aussi dans une démarche stratégique : le véritable objectif de Ben Laden n’était pas New York mais La Mecque. Il espérait donc que l’attentat contre New York frapperait les Américains au point qu’ils se replient sur eux-mêmes et renoncent à soutenir leurs alliés arabes. Les peuples arabes libérés de la tutelle des despotes pro-Occidentaux se seraient alors ralliés en masse à leur nouveau guide. Le 11 septembre n’était donc pas, dans l’esprit de son auteur, un acte de terrorisme gratuit ainsi qu’on le qualifie en Occident, mais une guerre symbolique contre le mal et stratégique pour le pouvoir : un mélange de mystique et de politique, comme l’est le mouvement islamiste tout entier.
Après la mort de Sayyid Qutb, son frère Mohammed Qutb devient professeur d’études islamiques en Arabie saoudite. Grâce à lui, les œuvres de son frère théoricien sont largement diffusées. Ayman al-Zawahiri, Ben Laden, Abdallah Azzam et d’autres leaders djihadistes s’abreuvent abondamment. Si Ben Laden assimile bien les leçons de Mohammed Qutb, il y a des choses qui lui échappent.
Ben Laden s’est trompé sur la réaction américaine : George W. Bush ne pouvait pas accepter un second Pearl Harbour sans réagir, et comme après Pearl Harbor, la réaction ne pouvait être que militaire, les Etats-Unis étant une nation martiale peu portée à la négociation. Ben Laden s’est trompé davantage encore sur son propre monde : exceptée une poignée de mystiques et de mercenaires, les Arabes n’ont aucun désir de retourner au temps du prophète sous les ordres d’un Ben Laden. Le 11 septembre 2001, Ben Laden et sa mouvance ont gagné une bataille et perdu la guerre pour la conquête de La Mecque.