Le général Ahmed Gaïd Salah propose d’engager la procédure de l’article 102 de la Constitution, prévue dans le cas où le président de la République « se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions ».
La crise algérienne a connu, mardi 26 mars, un rebondissement au plus haut niveau de l’Etat : la direction de l’armée a décidé de défier la présidence d’Abdelaziz Bouteflika. Le chef de l’Armée nationale populaire (ANP), le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, a en effet appelé à recourir à l’article 102 de la Constitution, qui prévoit l’« empêchement » du chef de l’Etat. Le message, diffusé en boucle sur la télévision publique depuis la quatrième région militaire de Ouargla, scelle la rupture entre l’armée et le clan présidentiel. Ce geste de Gaïd Salah marque une nouvelle étape dans la crise qui secoue l’Algérie depuis plus d’un mois alors que des millions d’Algériens défilent chaque vendredi contre le maintien au pouvoir de M. Bouteflika aux cris de « dégagez le système ».
« Il faut adopter une solution qui garantisse la satisfaction de toutes les revendications légitimes du peuple algérien et le respect des dispositions de la Constitution ainsi que la continuité de la souveraineté de l’Etat, une solution de nature à être acceptée de tous », a déclaré le général Salah, nommé à la tête de l’armée en 2004 par M. Bouteflika lui-même. Pour justifier cette intervention qui bouscule les formes, le chef de l’armée a mis l’accent sur les risques sécuritaires. Les manifestations contre la prolongation du quatrième mandat de Bouteflika sont restées pacifiques jusqu’à présent, a-t-il dit, mais la « situation peut être retournée ». Les manifestations « peuvent être instrumentalisées par des forces ennemies internes ou externes », a-t-il mis en garde.
Une « suggestion » qui équivaut à une quasi-injonction
Ahmed Gaïd Salah qui, dit-on à Alger, était tenu par une « parole donnée » à Bouteflika au sujet de sa candidature à un cinquième mandat – auquel le chef de l’Etat a finalement renoncé le 11 mars en annulant l’élection présidentielle prévue le 18 avril – a graduellement pris ses distances à l’égard du clan présidentiel. Tout en rendant hommage au pacifisme des manifestants, il n’évoquait plus, au fil des semaines, le nom du président et s’est abstenu de soutenir la feuille de route du 11 mars prévoyant une prolongation du quatrième mandat jusqu’à une nouvelle élection présidentielle selon un calendrier non précisé. Son appel à la mise en œuvre de l’article 102 de la Constitution constitue une rupture franche entre les deux grands pôles du pouvoir en Algérie. Formellement, le chef de l’armée ne fait que « suggérer » cette option constitutionnelle qui prévoit de faire le constat de l’« empêchement » du président de la République et la mise en œuvre d’un intérim de quarante-cinq jours exercé par le président du Conseil de la nation (Sénat) jusqu’à la tenue d’une élection présidentielle. Mais cette suggestion, dans un contexte de contestation générale du régime de Bouteflika, équivaut une quasi-injonction adressée au Conseil constitutionnel de recourir à l’article 102.
Pour le camp présidentiel qui œuvrait encore laborieusement à la formation d’un gouvernement, la sortie du chef de l’armée est un coup dur. Vingt-quatre heures plus tôt, l’ancien secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), Amar Saadani, suppliait pratiquement, dans un entretien surréaliste au site Tout sur l’Algérie (TSA), de laisser au moins Bouteflika terminer son mandat jusqu’au 28 avril. Le message n’a pas été entendu, l’armée ne souhaitant pas, à l’évidence, se retrouver à cette date devant un vide institutionnel, celui d’un mandat se concluant par une vacance du pouvoir présidentiel.
Deux cas de figure prévus par l’article 102
L’article 102 prévoit deux cas de figure, celle d’une démission, ce qui n’est pas le cas, où celui d’un « empêchement » pour raison de santé, soit la procédure désormais envisagée pour pousser Abdelaziz Bouteflika vers la sortie avant l’expiration de son mandat le 28 avril. Il reste à savoir si le Conseil constitutionnel, seule institution formellement habilité à enclencher la procédure d’empêchement « suggérée » par le chef de l’armée, s’y résoudra.
Le Conseil constitutionnel est dirigé par l’ancien ministre de la justice, Tayeb Belaïz, un homme du premier cercle du président de la République. S’il répond positivement à la « suggestion » du chef de l’armée, le Conseil constitutionnel devra constater l’empêchement « par tous moyens appropriés » avant de proposer, à l’unanimité de ses membres, au Parlement de « déclarer l’état d’empêchement ». Les deux chambres du Parlement devront se prononcer « à la majorité des deux tiers ». Dans un tel scénario, le président du Conseil de la nation, en l’occurrence, Abdelkader Bensalah, assurerait l’intérim pendant quarante-cinq jours au plus. Le gouvernement resterait en place durant cette période. En choisissant de faire pression pour l’application de l’article 102, l’armée cherche à éviter la mise en place d’une transition dirigée par des personnalités indépendantes, soit l’option réclamée par une bonne partie des acteurs de la contestation.
Par Amir Akef…