Le 11 février 1990, après 27 années et 190 jours de prison, le Sud-Africain Nelson Mandela qui avait été condamné à la réclusion à la perpétuité au plus fort de la période de ségrégation raciale, retrouve la liberté.
Des circonstances et du contexte
L’Afrique du Sud était l’un des principaux alliés de Washington sur le continent africain pendant la Guerre froide. Or dans les années 1980, avec les signes d’essoufflement du communisme, cette alliance était devenue encombrante pour les États-Unis, d’autant que la majorité noire, victime de terribles violences policières, était proche de l’explosion. Sous la pression de Washington, Pretoria n’avait d’autre choix que de négocier avec le Congrès national africain et notamment avec son dirigeant Nelson Mandela, qui s’était imposé comme le leader incontournable de la majorité noire du pays.
Les négociations ont commencé dès 1987 sous le président Pieter Botha et ont été menées à leur terme par Frederik de Klerk qui annonça au Parlement le 1er février 1990 la décision de son gouvernement de libérer Mandela. L’apartheid sera officiellement aboli en juin 1991.
Une popularité restée intacte
En effet, condamné en 1964 à la prison à vie, Mandela restera incarcéré 27 ans, d’abord sur l’île de Robben Island jusqu’à 1982, avant d’être transféré à Pollsmoor et enfin à la prison Victor Verster, située dans la ville de Paarle, à une soixantaine de kilomètres au nord du Cap. Pendant ces longues trois décennies, ses amis et son épouse Winnie Mandela ont tout fait pour garder vivace sa mémoire. Dans les années 1980, des posters à son effigie ornaient les murs des bidonvilles. Winnie Mandela rencontrait les leaders étrangers en visite en Afrique du Sud pour leur parler de la cause des noirs que défendait son mari. Et puis, il y a eu en juillet 1988, au stade Wembley de Londres, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de Mandela, ce concert de rock monstre en présence d’Harry Bellafonte, Whitney Houston et Stevie Wonder. Ce concert qui était suivi par 72 000 spectateurs et 200 millions de téléspectateurs, a fait de Mandela cette icône de liberté emprisonnée qu’il était devenu et à laquelle les Sud-Africains noirs pouvaient s’identifier. C’est dans ces années-là que le mythe Mandela est né.
En pacifiste, il livre un discours d’apaisement
A sa sortie de prison avec sa femme Winnie, ils montent dans la voiture qui doit les conduire au Cap. Arrivés à leur destination, ils traversent à pieds la vaste place devant la mairie où une foule immense s’était rassemblée. C’est du balcon de l’Hôtel de ville que Mandela prononcera son premier discours d’homme libre. Pour renouer le fil de la conversation avec son peuple, il dira en commençant qu’il a toujours combattu la domination blanche ainsi que la domination noire, et a rappelé qu’il avait consacré sa vie à « l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle tous vivraient ensemble, dans l’harmonie, avec d’égales opportunités ». C’était exactement ce qu’il avait dit au tribunal, vingt-sept ans plus tôt, en concluant sa plaidoirie au procès de Rivonia, avant de se voir condamné à prison à vie pour « haute trahison et tentative de renversement par la force du gouvernement ». Au Cap, il se fait siffler par les jeunes noirs venus l’écouter, car ceux-ci attendaient un discours de guerre. Il leur a donné un discours de paix. C’est ce qui avait d’ailleurs été négocié avec les autorités. Mandela a joué le jeu. Non seulement parce qu’il avait donné sa parole, mais surtout parce qu’il était conscient que s’ils appelaient la jeunesse à prendre les armes, comme il aurait pu très bien le faire, il aurait fait basculer son pays dans la guerre civile. Ce n’était pas ce qu’il souhaitait pour les siens ni pour le pays en général.
Beaucoup d’interrogations
Mandela n’était pas un pacifiste à la Gandhi. Il avait défendu la lutte armée. C’est lui qui a créé en juin 1961 la branche armée de l’ANC, mais il n’a jamais oublié que le rapport de force était défavorable aux noirs. C’est la leçon qu’il a retenue de sa rencontre en 1962 avec les leaders du mouvement de libération algérien, pendant sa tournée clandestine dans une dizaine de pays d’Afrique. Houari Boumédiène et Ahmed Ben Bella qu’il a rencontrés au moment où se signaient les Accords d’Évian, lui ont expliqué une chose fondamentale : face à la puissance militaire des colonisateurs, aucune perspective de victoire militaire pour les colonisés n’était envisageable. Et d’ailleurs les Algériens n’avaient pas remporté une victoire militaire, mais une victoire politique, lui ont dit ses interlocuteurs. On lui a également dit que pour créer les conditions d’une victoire politique, il fallait engager la lutte armée. Mandela s’en souviendra toute sa vie.
Une vie privée brisée
Lorsque Mandela sort de prison, c’est un vieil homme. Il avait rencontré Winnie en 1958. Ils se sont mariés, et ont eu 2 enfants ensemble. À la fin des années 1950, Nelson Mandela était déjà entré dans la clandestinité. Il rendait visite à sa famille de temps en temps. Et puis, il y a eu le procès de Rivonia. Vingt-sept années de séparation. Lorsque Nelson et Winnie se retrouvent en 1990 et peuvent revivre comme un couple normal, c’est trop tard. La vie était passée. Restée avec les enfants, Winnie Mandela avait dû faire face seule à des problèmes insurmontables pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille et assurer sa sécurité. Mariée à l’homme le plus haï de l’establishment afrikaner, elle était constamment persécutée par la police et ses agents. On lui crevait les pneus de sa voiture, on balançait des briques par la fenêtre de sa maison à Soweto entre autres.
De plus, Nelson écrivait régulièrement aux autorités pour leur demander de laisser son épouse et ses enfants vivre une vie normale. Winnie, pour sa part, a été un porte-parole exemplaire de son mari, se battant inlassablement pour la cause. On l’a accusée d’avoir mené une vie personnelle dissolue. Lorsque Nelson Mandela sort de prison, ils ne se connaissent plus vraiment. Ils se sépareront en 1996, après trente-huit années de mariage.