À l’ordre du jour : la créance de 186 milliards de FCFA réclamée à l’État par l’électricien. Dans une lettre adressée, le 14 avril 2023 au Premier ministre, Joseph Dion Ngute, Actis, qui détient 51 % des parts d’ Eneo, a donné jusqu’au 28 avril à l’État, lui-même actionnaire avec 44 % des parts, pour régler cette ardoise. Sauf que lors d’une réunion tenue le 25 avril au ministère de l’Eau et de l’Énergie, le montant de la dette a été contesté, nous rapporte nos confrères d’Investir au Cameroun. Il est question pour les parties de se mettre d’accord sur la valeur de la créance avant un éventuel paiement. Pour ce faire, une autre rencontre était prévue le 2 mai au ministère des Finances.
« L’essentiel de cette dette accumulée concerne l’électricité consommée par l’État et les entités publiques. Il est complété par les remboursements de la taxe sur la valeur ajoutée pour 2022 et les compensations tarifaires dues, mais non acquittées », soutient Actis dans la lettre signée par son associé, David Grylls, par ailleurs administrateur d’Eneo. Mais au MINFI, on estime que les 186 milliards de FCFA demandés sont surréalistes. Ici, on rappelle que 269 milliards de FCFA ont déjà été versés pour apurer les dettes des seules années 2020, 2021 et 2022. La dernière opération qui portait sur un paiement de 42 milliards de FCFA s’est achevée au premier trimestre 2023.
En matière d’éclairage public & subventions
Selon une source qui a participé à la réunion du 25 avril, deux rubriques font particulièrement l’objet de contestation : la compensation tarifaire (subvention au consommateur supportée par l’État, représentant la différence entre ce que ce consommateur doit réellement payer et ce qu’il paie effectivement) et l’éclairage public. Selon nos informations, sur ces deux rubriques, Eneo demande respectivement 72 et 57 milliards de FCFA pour une période allant de 2020 à 2023.
Au Ministère des Finances, se référant aux protocoles d’accord portant règlement partiel de la dette de l’État envers ENEO, on estime que les compensations tarifaires des années 2020, 2021 et 2022 ont été entièrement réglées. On assure aussi que celle de l’année 2023 fait déjà l’objet d’une convention de remboursement de dettes entre Eneo, Electricity Development Corporation (EDC) et l’Agence de régulation du secteur de l’électricité. En outre, les factures pour l’éclairage public n’ont toujours pas été validées par l’ARSEL et ne sauraient donc constituer une créance.
Cependant, les protocoles des deux dernières opérations de paiement de la dette due à Eneo sont suffisamment clairs. Il ressort de celui signé le 15 décembre 2021 que 14 milliards de FCFA ont été payés au titre de la « subvention tarifaire 2021 » et 27 milliards au titre d’« avance sur subvention tarifaire 2022 ». Selon le document signé le 2 décembre 2022, ce sont 26,99 milliards qui ont été versés pour « le solde de la subvention 2022 ». Au sujet de l’éclairage public, un paiement de 12 milliards de FCFA figure dans le protocole du 15 décembre 2021, sans que la période qui correspond à cette facture soit précisée.
Des contingences liées à la double facturation
À la lecture des courriers envoyés aux autorités par l’entreprise ENEO, il apparaît que l’éclairage public fait l’objet de désaccords depuis longtemps entre les deux parties. Dans un courrier adressé au ministre de l’Eau et de l’Énergie, Gaston Eloundou Essomba, le 4 avril 2023, le directeur général de Eneo, Patrick Eeckelers, affirme qu’Eneo n’a reçu aucune validation (ou règlement) même partielle des consommations d’éclairage public des collectivités territoriales décentralisées au titre de l’année 2022 (22 milliards de FCFA de factures). Dans une lettre envoyée au Premier ministre, le 12 novembre 2021, son prédécesseur, Éric Mansuy, estimait pour sa part à 30 milliards de FCFA la consommation éclairage public non reconnu à ce jour.
Au cours de la rencontre du 25 avril, « il est apparu que certaines dettes déjà payées ou en cours de paiement par les collectivités territoriales décentralisées, les universités, les hôpitaux et les entreprises publiques ont encore été prises en compte », apprend-on d’une source ayant pris part à la réunion. « En plus, une entreprise publique comme Camwater ne reconnaît que 15,5 milliards de FCFA sur les 21,4 milliards que lui impute Eneo », ajoute-t-elle.
Des solutions à entrevoir
« Tout cet imbroglio survient parce que l’État et ses démembrements ne paient pas régulièrement leurs factures », commente un acteur du secteur. En croire Actis, ces retards de paiements déstabilisent aussi l’équilibre financier du secteur. De source interne, Eneo encaisse en moyenne 27 milliards de FCFA chaque mois hors paiement de l’État. Mais, l’entreprise dit avoir des dépenses critiques mensuelles de 34 milliards de FCFA (salaires, impôts, achats d’électricité et de combustible, droits d’eau, charges de transport, factures des autres fournisseurs et sous-traitants). Elles peuvent atteindre 38 milliards lorsque les centrales thermiques sont sollicitées de manière particulière comme ce fût le cas en 2021, lorsque la centrale hydroélectrique de Lagdo était au plus bas de sa production.
L’actionnaire majoritaire d’Eneo estime donc que pour éviter que ses dettes envers les autres acteurs du secteur s’accumulent (plus de 200 milliards de FCFA actuellement), il faudrait que l’État et ses démembrements paient leurs factures chaque mois. Conscient de la situation, l’État s’est engagé à payer 1 milliard de FCFA chaque semaine pour couvrir ses consommations d’électricité. Mais, il peine à respecter cet engagement. Au cours des quatre premiers mois de 2023, il a versé 10 milliards de FCFA au lieu de 16 milliards. Par ailleurs, le producteur d’aluminium Alucam, qui doit payer 1,3 milliard de FCFA chaque mois, ne s’acquitterait pas de ses factures depuis au moins six mois et Camwater, qui doit payer 750 millions de FCFA, ne paierait que 200 millions, soutient Eneo. Mais au ministère de l’Eau et de l’Énergie, on estime qu’au-delà de tout, l’électricien doit aussi améliorer ses performances commerciales.