Dans les « Très hautes instructions » du président de la République transmises en date du 23 avril 2019, au Secrétaire général des Services du Premier ministre par le ministre d’Etat, Secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, il n’est point question d’une fusion entre Memve’ele et Electricity Development Corporation (EDC). Mais plutôt de l’extension de l’objet social de la société EDC au barrage hydroélectrique de Memve’ele, et surtout de l’approbation des statuts de la société Memve’ele Hydroelectric Development Corporation appelée à assurer l’exploitation de cet important ouvrage. En plus, il y a beaucoup de risques qui complexifient le transfert de Memve’ele à EDC. Tout comme, la gestion actuelle de EDC fait problème.
La présidence de la République n’aurait donc pas encore formellement autorisé l’insertion de l’actif du barrage de Memve’ele à Electricity Development Corporation (EDC), contrairement aux « très hautes directives» brandies par la Primature au ministère de l’Eau et de l’Energie, visant l’insertion de l’actif de Memve’ele dans le patrimoine de EDC. En effet, dans une correspondance datant du 03 juin 2019 du ministre de l’Eau et l’Energie, Gaston Eloundou Essomba, adressée au directeur du Projet Memve’ele et dont nous avons obtenu copie, l’on peut lire que : « Faisant suite aux conclusions de la séance de travail qui s’est tenue le 31 mai dans les Services du Premier ministre relative à l’objet repris en marge, j’ai l’honneur de vous demander de bien vouloir vous faire représenter par vos collaborateurs ayant une parfaite maîtrise du dossier, aux concertations qui se tiendront pour la période allant du 10 au 14 juin 2019, dans la salle de réunion de mon cabinet, sise au 4ème étage de l’immeuble ministériel, en vue de l’élaboration de la note de cadrage méthodologique assortie d’un plan d’action pour l’insertion du projet Memve’ele dans le patrimoine de la société EDC».
Or, dans une correspondance antérieure en date du 23 avril 2019, signée du Secrétaire général de la présidence de la République, le ministre d’Etat, Ferdinand Ngoh Ngoh, adressée au Secrétaire général des services du Premier ministre, avec pour objet « statut de la Memve’ele Hydroelectric Development Corporation » et dont nous avons également obtenu copie, il y est écrit : « Faisant suite à votre lettre sus-référencée relative à l’objet repris en marge, j’ai l’honneur de retourner les projets de décrets portant création et approbation des statuts de la société Memve’ele Hydroelectric Development Corporation, tout en vous demandant de bien vouloir préparer, en concertation avec les administrations et structures concernées, les textes d’extension de l’objet social de la société Electricité Développement du Cameroun au barrage hydroélectrique de Memve’ele ». Cette correspondance du SGPR ne fait donc pas référence de manière explicite de la fusion de Memve’ele à EDC. Mais reste sans équivoque quant à la création et approbation des statuts de la société Memve’ele Hydroelectric Development Corporation. Toute chose qui reste dans la logique de la position prise par le président de la République depuis 2015.
En effet, le 30 septembre de cette année-là, le SGPR, dans une correspondance adressée au Minee, notifiant les « Hautes instructions du Chef de l’Etat », avec pour objet : «Economies réalisées dans la construction du barrage hydroélectrique de Memve’ele », demandait au Minee « d’engager en liaison avec le Minmap, des négociations, avec l’entreprise Sinohydro et le maitre d’œuvre actuel dudit projet pour affecter les économies réalisées dans la construction du barrage de Memve’ele, à la réalisation par ces entreprises qui sont déjà sur le terrain et sous la supervision de l’Unité opérationnelle actuelle, des ouvrages destinés à optimiser l’exploitation du fleuve Ntem à savoir, un barrage de retenue et un deuxième barrage de production (450 MW); de faire parvenir à la présidence de la République, le rapport du maître d’œuvre relatif aux économies réalisées à Memve’ele du fait de la construction d’une usine de surface à la place d’une usine enterrée ».
Et, en application de ces « hautes instructions », apprend-on à l’Unité opérationnelle de l’Aménagement hydroélectrique de Memve’ele, l’entreprise Sinohydro a déjà injecté les économies générées par le passage d’une usine enterrée à une usine de surface pour les études de faisabilité de Memve’ele II, cette étude sera présentée pour approbation d’ici novembre 2019, précise-t-on. Par conséquent, afin d’assurer un heureux aboutissement des travaux de l’Aménagement hydroélectrique de Memve’ele et garantir une optimisation de son exploitation, l’on souhaite à l’Unité opérationnelle de Memve’ele, la création d’une société de projet pour Memve’ele. De même qu’en attendant la création de ladite société, que la partie chinoise qui dispose des compétences requises puisse accompagner la structure actuelle (Cellule d’appui à la maîtrise d’ouvrage du projet d’aménagement hydroélectrique de Memve’ele) à réaliser les opérations d’exploitation et de maintenance de l’ouvrage jusqu’à son transfert à l’Etat du Cameroun
EDC, UNE ENTREPRISE EN EAUX TROUBLES
Il est très souvent reproché au directeur général de cette entreprise publique qui gère le patrimoine de l’Etat dans le secteur de l’électricité, la mauvaise gestion financière, source du climat social malsain qui règne au sein de cette entreprise.
Un fait inédit qui prouve à suffisance du climat social qui règne à Electricity Development Corporation (EDC). L’entreprise à qui certains souhaitent confier la gestion du barrage de Memve’ele. Au mois de mai 2018, c’est la tutelle technique de cette entreprise, le ministre de l’Eau et de l’Energie, Gaston Eloundou Essomba, qui servait une demande d’explication, avec pour objet : « Mauvaise gestion à EDC/Barrage de Lom Pangar ». Cette demande d’explication faisait suite aux nombreuses plaintes du Syndicat des travailleurs du secteur de développement des ouvrages de production, de transport et de régulation de l’électricité (SYNTDOPTRE). Dans cette correspondance du Minee adressée à Théodore Nsangou, il était demandé au DG de EDC de tenir un « rapport circonstancié » sur six points principaux. Notamment, « la situation critique du barrage [30 MW] », « la situation sociale au sein de ladite entreprise », « la mauvaise gestion comptable, financière et budgétaire [rapport 2015/2016 du commissaire aux comptes] », « le détournement du patrimoine de l’entreprise [vente frauduleuse des véhicules du projet] », « la gestion des faux diplômes » et « les faux marchés |pose de la 1ère pierre par le chef de l’Etat en 2012] ».
Avant cette sortie du Minee, Gaston Eloundou Essomba , le Syntdoptre avait déjà menacé régulièrement d’entrer en grève. Le 12 mars 2018 par exemple, les syndicalistes avaient écrit au DG d’EDC pour dénoncer le fait que la commission d’avancements qui devrait siéger chaque septembre de l’année, n’a eu lieu que deux fois, en neuf ans. Selon ce syndicat, les échelons automatiques du personnel de quatre années d’ancienneté sont gelés depuis la création d’EDC. A cela s’ajoutent les retenues sur salaires qui ne sont pas reversées à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), soit plus de 800 millions FCFA de dettes. Avec son corollaire de conséquences sur la vie des travailleurs qui sont privés de pension de retraite depuis neuf ans, sans allocations familiales, pas de prise en charge pour les accidentés de travail, encore moins la prise en charge des femmes enceintes. Par ailleurs, le Syndicat réclamait le paiement des arriérés de salaire des 24 cadres recrutés en mai 2010 par le conseil d’administration; le calcul des manques à gagner du personnel était à ce moment-là estimé à 450 millions FCFA, etc.
UNE GESTION FINANCIERE PEU ORTHODOXE
Outre la gestion jugée du chaotique du personnel de EDC, il était également reproché à Théodore Nsagou, une gestion financière peu orthodoxe. Certaines sources indiquaient même qu’il serait attendu au Tribunal criminel spécial pour s’expliquer sur la gestion de la société dont il a la charge. Il pesait sur le DG de EDC, des soupçons de malversations financières. Cette entreprise de patrimoine de l’Etat du secteur de l’électricité était, il y a peu, au centre d’une importante crise sociale et financière avec des caisses vides. Les employés de EDC réclamaient des arriérés de salaires et menaçaient d’entrer en grève. Certaines sources au sein de l’entreprise renseignaient que le directeur général aurait acquis deux véhicules 4X4 au prix de 198 000 000 F CFA, soit 99 000 000 F CFA par véhicule. Des faits sur lesquels Theodore Nsangou devrait s’expliquer et justifier l’effondrement de EDC qui aurait englouti des centaines de milliards de FCFA. Les 15 milliards de FCFA de capital social entièrement libérés par le ministère des Finances auraient été entièrement consommés en 4 ans et le barrage de Lom pangar manquerait déjà du carburant. D’où, le récent appel de détresse du DG, Theodore Nsangou à son président du conseil d’administration (PCA), Mengot Arrey.
En rappel, EDC est une entreprise publique camerounaise créée en 2006, qui opère dans le domaine de l’énergie électrique. Sa mission est d’accroître la production et la distribution de l’énergie électrique grâce au barrage de retenue d’eau de Lom Pangar, dont il est le maître d’ouvrage. Avec l’insertion déjà engagée du barrage de Memve’ele, le portefeuille de cette entreprise va désormais s’agrandir.
CES RISQUES QUI COMPLEXIFIENT LE TRANSFERT DE MEMVE’ELE A EDC
Ils sont d’ordre de réclamation financière par l’entreprise Sinohydro, de sinistre sur ouvrages construits, mais aussi politique. Ils ont été exposés par les responsables de l’Unité opérationnelle de Cellule d’appui à la maîtrise d’ouvrage de l’Aménagement hydroélectrique de Memve’ele, lors de la série de concertations engagées la semaine dernière au ministère de l’Eau et de l’Energie, en vue de l’insertion de Memve’ele dans le patrimoine de la société Electricity Development Corporation (EDC).
Cela s’avère donc à une équation pas du tout facile à résoudre : le transfert du barrage de Memve’ele dans le patrimoine de la société Electricity Development Corporation (EDC). En effet, bien que la date de début de production, qui était initialement prévue pour le début de l’année 2018, n’ait pas pu être respectée, une solution palliative a été envisagée compte tenu, dit-on, du besoin de rendre disponibles 80 MW dans le Réseau Interconnecté Sud (RIS), en attendant la fin des travaux des ouvrages d’évacuation de l’énergie. Il s’est agi d’un raccordement temporaire entre la ligne haute tension Memve’ele 225 KV et la ligne 90 KV de EDC (PRERETD) au niveau de Minlamizibi par Ngoulemakong. La jonction provisoire permet aujourd’hui de disposer des premiers MW injectés dans le RIS. Cette solution, du point de vue stratégique et économique est porteuse, reconnait-on à l’Unité opérationnelle, et c’est la traduction du démarrage effectif de la centrale en phase d’essais en attendant la finalisation selon le chronogramme des travaux de Sinohydro. Mais cette exploitation de la centrale pose problème pour le moment parce qu’elle n’est pas encadrée. L’Unité opérationnelle du projet n’ayant pas un statut lui permettant d’interagir pour les opérations de maintenance, d’exploitation de la centrale et de commercialisation de l’énergie. Il s’agit d’un point critique. C’est cette situation qui, explique-t-on a sans doute motivé les très hautes directives visant l’insertion de l’actif de Memve’ele dans le patrimoine de EDC., même si, avoue-t-on, aucune notification expresse n’a pour le moment été faite par le président de la République à l’endroit du ministre de l’Eau et de l’Energie.
Mais cette insertion, de l’avis des responsables de l’Unité opérationnelle de l’Aménagement de Memve’ele ne va pas sans risques. En effet, selon leur présentation au cours des concertations qui se sont tenues, au ministère de l’Eau et de l’Energie, en rapport avec ce sujet , plusieurs risques rendent complexe cette opération. En effet, du fait de la réception provisoire au 31 décembre 2017 et actée le 08 février 2018, et la mise en service des groupes de l’usine qui a eu lieu en avril 2019, ces deux actes, informe-t-on, ont des risques potentiels. Notamment, ceux de réclamation financière par l’entreprise Sinohydro, de sinistre sur ouvrages construits et celui politique. Pour le premier, l’entreprise a terminé les travaux depuis juillet 2017 et la réception partielle n’a pu avoir lieu qu’en février 2018. Et donc en décembre 2018, l’entreprise devrait demander la réception définitive pour lever ses garanties et caution. L’entreprise ne peut pas avoir la réception provisoire, ni définitive des groupes de l’usine, car conditionnée par les essais sur la ligne 225 KV au poste de Ahala. Hors, les travaux de cette ligne sont en retard à cause des problèmes de paiement des décomptes, ainsi que la libération de l’emprise par l’Etat. L’entreprise est donc, indique-t-on, en droit de faire une réclamation pour ses frais financiers et son équipe maintenue sur site depuis décembre 2017 jusqu’à la fin des travaux de la ligne et des essais.
RISQUE DE SINISTRE SUR OUVRAGES CONSTRUITS
Les essais individuels des groupes ont été effectués par la Sonatrel et sont concluants. Ce qui permet une évaluation partielle de l’énergie produite via un raccordement provisoire qui a été effectué. Ceci présente deux risques : un risque de stabilité du réseau existant car, il n’y a pas eu d’étude de stabilité et d’intégration de cette nouvelle solution ; un risque de dommage sur les ouvrages, n’ayant pas fait d’étude de stabilité et d’intégration, et utilisant deux tronçons de ligne en chantier et non réceptionnés, il y a un risque potentiel de sinistre d’une ligne par défaut éventuel de l’autre. Il y a à noter, précise-t-on, qu’on a la ligne de Memve’ele et la ligne de EDC en chantier. Les conditions d’exploitation de ces lignes et postes ne sont pas claires, ni côté Sonatrel, ni côté entreprise et maître d’ouvrage délégué.
RISQUE POLITIQUE ET FINANCIER
Actuellement 45 MW environ sont injectés dans le réseau Eneo. L’entreprise Sinohydro demande la réception de l’usine. Or d’après le contrat, ce n’est qu’après les essais à Ahala (dans 15 mois au meilleur des cas). Elle se propose donc, apprend-on, d’arrêter les groupes qui sont sous sa responsabilité et redémarrer seulement en fin 2020. Par ailleurs, pour que Sinohydro commence à travailler au poste de Ahala où le courant de Memve’ele sera injecté, il faut démonter les équipements du Plan Thermique d’Urgence (PTU) (40 MW) par Eneo. Cet arrêt des groupes serait un risque politique et une perte financière énorme car, le Cameroun doit déjà commencer à rembourser la dette. « Même avec 45 MW, nous avons déjà plus de 34 000 MGWh injectés dans le réseau en un mois », affirme-t-on à l’Unité opérationnelle.
NECESSITE DE DOTER L’UNITE OPERATIONNELLE D’UN STATUT JURIDIQUE
C’est donc un préalable qu’il va d’abord falloir lever avant toute forme de transfert de Memvé’ele à EDC. Deux options sont présentées pour rendre possible cette opération. Soit la fusion absorption qui est la forme la plus courante de ces rapprochements, mais également ce n’est pas la seule, il existe aussi des fusions par apport de titres total ou partiel. Il serait donc loisible de qualifier le type d’opération au préalable pour en retenir les effets juridiques, indique-t-on. Il s’agit d’un exercice délicat, prévient l’Unité opérationnelle, dans la mesure où, pour l’hypothèse de la fusion absorption, Memve’ele doit être une société constituée afin de valider ce mécanisme juridique et d’en implémenter les effets juridiques conformément aux principes y relatifs. La qualité de Memve’ele juridiquement constitue un frein. La création d’une société dédiée aurait été la panacée. Cette question de la création d’une entité jouissant des qualités et capacité juridiques pour le faire déjà a été adressée, informe-t-on mais c’est toujours sans réponse. Cette entité est nécessaire pour exercer dans le secteur. Mais l’on espère qu’il y a toujours de la place pour la réflexion. Elle peut notamment porter sur deux aspects : Premièrement, on peut qualifier d’Apport partiel d’actif (APA), le transfert de l’actif de Memve’ele dans le patrimoine de EDC. C’est un mécanisme qui permet de transmettre à une autre société un ensemble d’éléments de son patrimoine, tant actifs que passifs, qui constituent une branche d’activité. Ce type d’apport s’analyse comme des apports purs et simples (un apport pur et simple à EDC serait alors l’apport d’un élément d’actif de Memve’ele sans lui transmettre simultanément un passif…)
PARACHEVER MEMVE’ELE II
Pour ces raisons, ici, l’on supposera que l’APA porte sur le barrage et la centrale. La question de la commercialisation de l’énergie de Memve’ele qui est à la base des hautes directives, trouverait donc solution, car portée par une entité ayant un statut juridique, estime l’Unité opérationnelle de Memve’ele. En considérant que l’opération de transfert de l’actif Memve’ele est semblable à l’apport partiel d’actif, celui-ci, indique-t-on, n’entrainerait pas de dissolution de la société porteuse, en l’occurrence la Cellule et son Unité opérationnelle, parce que plusieurs autres composantes s’y trouvent et sont en cours de réalisation sous son couvert. Et dans ce cas de figure et conséquemment, compte tenu du nombre d’activités encore en cours de réalisation et considérant l’impact à venir de celles-ci, l’on suggère de reconsidérer et actualiser les missions de l’Unité opérationnelle actuelle dans son rôle d’organe d’exécution pour continuer à développer les capacités de production sur le bassin du Ntem, notamment Memve’ele II, en lui confiant un mandat comme celui en cours d’achèvement.
Les travaux en cours de Memve’ele II, rappelle-t-on, relèvent elles aussi, de très hautes instructions du chef de l’Etat telles que répercutées au ministre de l’Eau et de l’Energie par le ministre, Secrétaire général de la présidence de la République en date du 30 septembre 2015, ayant trait à la réalisation « des ouvrages destinés à optimiser l’exploitation du fleuve Ntem, à savoir, un barrage de retenue et un deuxième barrage de production ». Les avantages sont multiples, notamment, le moindre coût de l’opération en maîtrisant certains effets juridiques liés aux mécanismes de transfert ; la complexité des modalités pour mettre en exécution les très hautes instructions du chef de l’Etat finalement contournée ; la disponibilité d’une entité ayant un statut juridique en vue d’exploiter la centrale ; la maîtrise des conséquences sociales d’un tel transfert pour le personnel de Memve’ele ; le développement de Memve’ele II ; la continuité du service pour des activités en cours de réalisation.