Les réseaux sociaux l’avaient déjà tué quelques jours avant cette annonce, avec l’avènement depuis plusieurs mois de la pandémie mondiale du coronavirus. Via sa page Facebook Officielle ce 24 mars 2020, la triste nouvelle a été diffusée laissant les fans du monde et la planète musicale sans voix, pour lui qui fut une légende vivante.
Ils sont nombreux à travers le monde à lui avoir rendu hommage. D’ailleurs nos confrères de la télévision française TF1, ouvrira son journal de 13h avec cette annonce. Le Covid-19, qui a déjà touché plus de 115 pays dans le monde, a eu raison de sa santé. Agé de 86 ans, il disparait quelques mois après l’un des mentors camerounais de la guitare, Ntumba Minka, et quatre jours après Victor Fotso, l’homme d’affaires de 94 ans. Le pays perd une figure emblématique de notre patrimoine musical sinon culturel.
« Chers parents, chers amis, chers fans, une voix s’élève au lointain… C’est avec une profonde tristesse que nous vous annonçons la disparition de Manu Dibango, notre ‘Papy Groove’, survenue le 24 mars 2020 à l’âge de 86 ans, des suites du Covid-19 », a déclaré sa famille sur sa page Officielle Facebook ce matin.
Le créateur du « Soul Makossa »
Arrivé à Marseille en 1949 alors qu’il était adolescent, fait Chevalier de la Légion d’honneur en 2010, l’artiste camerounais était encore en pleine forme et en tournée l’an passé pour ses 60 ans de carrière avec son Safari Symphonique mêlant jazz et musique classique, un programme dont il nous avait parlé en juillet 2019 avec sa bonne humeur et son dynamisme inaltérables. Manu Dibango était un géant par sa taille et son talent, mais aussi par sa gentillesse et son enthousiasme communicatif.
Le 18 mars, la contamination de l’artiste avait été annoncée sur sa page Facebook. Mais ce communiqué nous donnait alors l’espoir que le solide colosse, qui avait traversé plus de 86 années de vie terrestre en conservant cette pêche inoxydable, surmonterait ce terrible coup dur. Cela n’aura pas été le cas. À cause des règles du confinement, « les obsèques auront lieu dans la stricte intimité familiale, et un hommage lui sera rendu ultérieurement dès que possible », précise la famille dans son communiqué.
Son tube planétaire Soul Makossa en 1972
Géant de la musique africaine, Manu Dibango est la première personnalité à avoir succombé au Covid-19 en France.
Il a inspiré au-delà des frontières : Rihanna, Michael Jackson et Jennifer Lopez
Né le 12 décembre 1933 à Douala, au Cameroun, de son vrai nom Emmanuel N’Djoké Dibango, tout au long d’une longue et dense carrière, Manu Dibango a traîné sa haute silhouette et son large sourire reconnaissables entre mille sur les cinq continents. C’est en Europe qu’il a posé ses valises, s’installant en France à partir de 1949.
Activiste de l’abolition des frontières entre les genres musicaux, il a abordé de multiples styles, collaboré avec de grands musiciens africains comme Youssou N’Dour et Angélique Kidjo, des rock stars comme Peter Gabriel et Sting, des chanteurs français comme Serge Gainsbourg, Nino Ferrer ou Dick Rivers, des musiciens classiques, et, bien sûr, des gens du jazz comme Herbie Hancock, Bill Laswell ou, en France, le bassiste Jérôme Regard et le tubiste Didier Havet. En 2007, il a rendu un hommage discographique au saxophoniste américain Sidney Bechet qui, comme lui, s’était établi en France. C’est auprès de son ami Francis Bebey, musicien et écrivain camerounais, que Manu Dibango avait découvert le jazz dans les années 50.
L’un de ses grands tubes, l’irrésistible Soul Makossa, inspiré d’un rythme du mouvement éponyme, sorti en 1972, a séduit un certain Michael Jackson qui l’a clairement cité à la toute fin de son électrisant Wanna Be Startin’ Somethin’, sans le créditer dans Thriller (1982) son album au triomphe planétaire. Un procès et un accord financier suivront. Rebelote quelques années plus tard avec la chanteuse Rihanna dans son titre Don’t Stop the Music (2007) qui samplait Wanna Be Startin’ Somethin’, et par conséquent, Soul Makossa…
Solide comme un roc, il a traversé des époques
Manu Dibango aura traversé les âges, les styles, et les « supports » : 78 tours, vinyles, cd, numérique… l’énorme discographie du saxophoniste camerounais raconte à elle seule toute une histoire de la musique d’après-guerre et de la décolonisation.
La découverte fondamentale du jazz remonte aux années de lycée à Chartres, quand Manu Dibango rencontre un compatriote dans une colonie de vacances réservée aux Camerounais : Francis Bebey, futur musicien auteur-compositeur camerounais notoire. Ils écoutent ensemble les disques de Duke Ellington, s’imprègnent du style jungle, font du stop pour aller écouter Sidney Bechet au Vieux Colombier. Il touche au piano et à la mandoline, avant de fixer son attention sur le saxophone alto.
Manu Dibango Sango Yesus Chrsito
Sa vie bascule un jour de 1960 quand le Congolais Joseph Kabasele, dit « Grand Kallé », cherche un saxophoniste pour honorer ses dates de concert à Bruxelles, ville où Manu Dibango s’est installé. C’est l’année où Grand Kallé crée le premier tube panafricain « Indépendance cha cha », hymne des indépendances africaines, composé au moment de la table ronde réunissant les dirigeants politiques congolais et les autorités belges. Manu Dibango enregistre avec Grand Kallé et son groupe une quarantaine de morceaux dans un studio à Bruxelles, puis embarque pour une tournée en Afrique.
L’âme du makossa en lui
Manu Dibango a l’esprit entrepreneur, fait des allers retours entre Léopoldville (future Kinshasa), Douala, Bruxelles et Paris, et se fait un nom comme accompagnateur aussi bien au saxophone qu’à l’orgue. Il collabore avec Dick Rivers mais dit préférer jouer avec Nino Ferrer, dont il devient le chef d’orchestre. « Nino (était) un fils de famille, cultivé, plus profond. J’aimais sa belle voix, ses belles mélodies… », raconte Manu Dibango à Télérame. « Lui aussi rêvait des États-Unis, comme nous tous à l’époque, mais sa musique m’interpellait, sa culture, d’Otis Redding à James Brown, en passant par la pop italienne, m’intéressait ».
En 1972, Manu Dibango sort « African Voodoo », sorte de laboratoire afro-pop-funk destiné à l’origine pour illustrer de la publicité, la télévision et le cinéma. Cet album a été réédité en vinyle en 2019, sur le label Hot Casa Records. La même année qu' »African Voodoo », Manu Dibango grave « Soul Makossa », un titre glissé sur la face B d’un 45-tours, puis inclus dans l’album « O Boso ». Cette chanson se vend à des millions d’exemplaires à travers le monde, il est le premier artiste africain à offrir un tube planétaire. « Soul Makossa » permet à Manu Dibango de triompher à l’Olympia, lui ouvre les pistes de danse africaines et les ondes aux États-Unis et inspire les créateurs de musique pop.