Le président ivoirien Alassane Ouattara a annoncé, ce 21 décembre 2019, aux côtés d’Emmanuel Macron, la disparition prochaine du FCFA au profit de l’éco, en Afrique de l’Ouest. La devise créée en 1945 par la France dans les deux régions africaines de son empire colonial circule dans 14 pays d’Afrique de l’Ouest et centrale qui forment la « zone franc », en plus des Comores. Soit 173 millions d’habitants. Depuis les indépendances, elle a évolué en ne cessant de faire débat. Utilisé par huit pays d’Afrique de l’Ouest, la réforme pose les bases d’une nouvelle configuration monétaire et meme économique.
La dénomination change
Les six pays d’Afrique centrale utilisant également le franc CFA, mais qui forment une zone monétaire distincte, ne sont pas concernés par cette réforme. À sa création en 1945, franc CFA signifiait « franc des colonies françaises d’Afrique ». Après les indépendances des années 1960, le nom avait déjà évolué pour devenir « franc de la Communauté financière africaine », pour les huit pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo). Mais ce nom restait perçu comme un symbole post-colonial. Le FCFA portera désormais le nom « Eco », qui est en fait le nom choisi pour la future monnaie unique des 15 pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest.
C’est terminé pour le dépôt des réserves à Paris
Désormais la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ne devra plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès de la Banque de France, une obligation qui était perçue comme une dépendance humiliante vis-à-vis de la France par les détracteurs du FCFA. La BCEAO « n’aura à l’avenir plus d’obligation particulière concernant le placement de ses réserves de change ». « Elle sera libre de placer ses avoirs dans les actifs de son choix », selon la présidence française.
La donne change en termes de gouvernance
La France va se retirer des instances de gouvernance de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) où elle était présente. Paris ne nommera plus aucun représentant au Conseil d’administration et au Comité de politique monétaire de la BCEAO, ni à la Commission bancaire de l’UMOA. Il s’agit pour les pouvoirs publics français de désamorcer les critiques, selon lesquelles la France continuait de dicter ses décisions dans ces instances via ses représentants.
Une parité qui ne change pas, mauvais point
La parité fixe avec l’euro du franc CFA, futur Eco, est maintenue (1 euro = 655,96 francs CFA). Il s’agit d‘éviter les risques d’inflation (présente dans d’autres pays d’Afrique) a expliqué le président ivoirien Alassane Ouattara. Cette parité fixe est pourtant l’une des caractéristiques du FCFA les plus critiquées par des économistes africains, selon lesquels l’arrimage à l’euro, monnaie forte, pose problème pour les économies de la région, beaucoup moins compétitives, qui ont besoin de donner la priorité à la croissance économique et à l’emploi plutôt que de lutter contre l’inflation. Ces économistes plaident pour la fin de la parité fixe avec l’euro et l’indexation sur un panier des principales devises mondiales, le dollar, l’euro et le yuan chinois, correspondant aux principaux partenaires économiques de l’Afrique.
La France demeure en qualité de garante
Paris conservera son rôle de garant financier pour les huit pays de l’UEMOA. « Si la BCEAO fait face à un manque de disponibilités pour couvrir ses engagements en devises, elle pourra se procurer les euros nécessaires auprès de la France », explique l’Elysée. Cette garantie prendra la forme d’une ligne de crédit.
« Avec le maintien de cette garantie, en attendant l’Eco, nous voulons éviter la spéculation et la fuite des capitaux », a souligné Alassane Ouattara.
La période fixée de passage pas encore entérinée
Les pays de la CEDEAO ont évoqué l’année 2020, mais sans fixer de calendrier précis. Au sommet de la CEDEAO qui s’est tenu ce samedi à Abuja, Zainab Shamsuna Ahmed, la ministre des Finances du Nigeria poids lourd économique régional a estimé que la mise en oeuvre de l’Eco en 2020 n‘était pas certaine, jugeant qu’il restait encore du travail à faire pour répondre aux critères de convergence. Les pays de l’UEMOA, qui respectent dans l’ensemble ces critères (contrairement aux autres pays de la CEDEAO), pourraient constituer l’avant-garde de l’Eco. La réforme du FCFA devrait satisfaire le Nigeria, qui exigeait qu’une monnaie commune ouest-africaine soit déconnectée du Trésor français.
Une existence historique
Le franc des Colonies françaises d’Afrique (CFA) est né par décret, en même temps que celui des Colonies françaises du Pacifique, le 25 décembre 1945. Ce jour-là, le gouvernement provisoire de la France dirigé par le général de Gaulle ratifie les accords de Bretton Woods. Il fait sa première déclaration de parité franc-dollar au tout nouveau Fonds monétaire international (FMI). Il s’agit d’une mesure technique sans grand débat, comme le signale l’intitulé du décret, « fixant la valeur de certaines monnaies des territoires d’outre-mer libellées en francs ». La « zone franc » créée de facto par la France avec ses colonies, où elle émet localement des monnaies qui portent le nom de « franc », a déjà été officialisée en 1939, par le biais d’un autre décret instaurant le contrôle des changes en métropole et « Outre-Mer ». Cette zone se trouve scindée en deux en 1945 : l’inflation a été moins forte dans les colonies durant la Seconde Guerre mondiale que dans la métropole. Du coup, lors de sa création, le franc CFA est plus fort que le franc français (FF), puisqu’il vaut 1,70 FF. Il repose sur quatre grands principes : parité fixe garantie par le Trésor public français, convertibilité et liberté des flux de capitaux dans la zone franc, en plus de la centralisation des réserves de devises des instituts d’émissions locaux, déposées auprès du Trésor public français. Lorsque le franc français est dévalué le 17 octobre 1948 par rapport au dollar, la valeur du CFA se renforce encore, de manière mécanique. Elle passe à 2 FF.
La dévaluation du 12 janvier 1994
La Guinée équatoriale, seul pays hispanophone d’Afrique, entre dans la zone d’influence de la France et adopte le CFA en 1985, onze ans avant la découverte de ses gisements de pétrole. Sur le continent, les années 1980 sont celles de l’ajustement structurel, une mise au pas des pays endettés selon la doxa libérale en cours au FMI et à la Banque mondiale, avec dérégulation de l’économie et ouverture au libre marché. Cet effort d’ajustement réel est fait au prix de nombreux sacrifices, au lieu d’une dévaluation monétaire que rejettent les chefs d’État de la zone franc. Le débat continue jusqu’à ce jour.